Chansonniers de gommeux excentriques : Armand Ben, Émile Carré et Laurent Manet

Gommeux
Laurent Manet n'écrit pas des chansons pour gommeux comme le titre de cet article l'indique... C'est une blague. Il compose plutôt pour des punks des années 1980. Mais, à ma demande, il propose à la vente sur son site une figurine de gommeux particulièrement remarquable. On peut l'acheter ici. Elle fait 22,5 cm de hauteur. Elle est en résine et a été entièrement réalisée par Laurent, qui l’a imaginée, sculptée et peinte. Il s’agit d’une petite série artisanale… un vrai objet de collection que vous ne trouverez nulle-part ailleurs.
 

En mettant en lumière le côté rock'n'roll de ce gandin fin de siècle, successeur du petit crevé, et ancêtre du zazou, il réussit ici à faire le lien entre les petits-maîtres français et les mouvements plus récents dont la plupart sont anglo-saxons. Pour cela, il faut savoir qu'est-ce que la petite-maîtrise, en saisir l'âme... et Laurent est dedans... Pour lui, pas question de rater le train, comme le gommeux un peu dégommé que je présente ensuite...

Dans cette figurine, on retrouve toutes les caractéristiques du gommeux dit « excentrique » de la fin du XIXe siècle. Il met à la mode la cravate moderne, alors très large, et le pantalon à pattes d’éléphant, qui existe donc déjà avant les hippies ! Son chapeau est de style haut de forme, pas très haut, et avec un rebord fin, le plus souvent remontant sur les côtés, au-dessus des oreilles. Il est souvent blondin, frisé et pommadé, avec une raie bien droite dessinée au milieu du crâne. Il porte des vêtements colorés, n’hésitant pas à faire usage de tissus rayés et à carreaux ! Son habit est très ajusté, voire étriqué, à certains endroits, et très ample à d’autres : gilet à coeur et veste très serrée sur la poitrine mais manches très larges, de même que le col et la chemise à grand col aussi. Les chaussures sont parfois pointues. Il porte un monocle (lorgnon), une canne fine avec un pommeau rond et plat, et une montre attachée à une chaîne assez imposante au niveau du bassin. Quand le gommeux n’a pas une grosse cravate, il la remplace par une cravate plus ancienne nouée genre papillon. En période froide, il s’affuble d’un long pardessus (une gâteuse), elle aussi souvent à carreaux et colorée, par exemple verte. Il fréquente le boulevard, les caf’conc, comme l’Alcazar (photographie ci-dessous) ou Les Ambassadeurs. Il a ses auteurs nouveaux, ses paroliers comme Émile Carré et Armand Ben, ce dernier étant aussi un chanteur, comme Libert qui lui se contente de chanter, ses compositeurs comme Tac-Coen, etc.

Gommeux

Pendant des siècles et jusqu’à Charles Trenet, les chansonniers français produisent une quantité phénoménale de nouvelles chansons qui, jusqu’à l’arrivée du tourne-disque, sont chantées dans les bals, les cafés chantants (XVIIIe siècle), les cafés-concerts (XIXe), et que des chanteurs de rue propagent sur les places, dans les rues et dans les cours d’immeubles. Au XIXe siècle, et jusqu’au milieu du XXe, ils vendent en même temps les partitions de ces nouveautés que les gens peuvent ensuite jouer chez eux, et dans des fêtes. Beaucoup de ces partitions ont une première page de couverture illustrant le sujet ou présentant le chanteur dans son rôle. On est dans une ambiance très différente d’aujourd’hui et des concerts avec leur sono. L’atmosphère est alors plus humaine, plus festive aussi.

ÉMILE CARRÉ (1829 – 1892) écrit les paroles de nombreuses « chansonnettes » qui mettent en scène des gommeux, chantées et présentées par Libert, comme L’amant d’Amanda, Je demeure au Vésinet, Les fameux gommeux, J’ai dépouillé ma famille, etc.

LIBERT (? – 1896) est un chanteur de caf’conc, spécialisé dans le rôle de gommeux, et qui collabore aussi avec ARMAND BEN (? – 1882), un autre parolier ayant à son actif beaucoup de chansons sur ce sujet, comme : J’ai raté l’train, Canada ou le gommeux noir, J’vais à Chatou, Anastase Duvigneau, Un’deux trois ! Marquez l’pas…, Pardon Madame, Ce que l’on dit de moi, etc. Armand Ben est non seulement l’auteur et le compositeur de nombreuses chansons, il en interprète aussi. Avec Libert, et sans doute même avant lui, il met à la mode le gommeux excentrique. Ils ne sont pas les seuls, mais les plus connus. D’un autre côté, les femmes font de même, comme je le montre dans l’article intitulé La gommeuse et le gommeux, ceux du caf'conc, le dégommé, la gommeuse excentrique et la gommeuse épileptique.

TAC-COEN (Pierre Joseph Auguste Taccoen : 1844 – 1892) est le musicien de ce genre, avec Le Calicot de la gomme, J’ai raté l’train, Canada ou le gommeux noir, J’vais à Chatou, Anastase Duvigneau, Ce que l’on dit de moi, C’est Gontran, Le gommeux des gommeux, Po…Paul, Un’deux trois ! Marquez l’pas…, etc.

On trouvera plusieurs de ces partitions ici et ici.

Gommeux

Ci-dessus : Partition de J’ai raté l’train « chansonnette Créée par A. BEN à l’Alcazar » avec des paroles d’Armand Ben et René d’Herville et une musique de Tac-Coen. Le dessin est signé d’Émile Butscha (1847 – 1887).

Photographies ci-dessous : Première page de la partition de Je demeure au Vésinet « Chansonnette Créée par Libert Aux Ambassadeurs ». Les paroles sont d’Émile Carré et la musique de L. A. Dubost. Les Ambassadeurs est un café-concert du XIXe siècle, situé sur les Champs-Élysées à Paris. Le dessin est signé d’Edward Ancourt (1841 ?).

Gommeux

Les paroles sont intéressantes, car décrivant un gommeux :

« 1er COUPLET. Je suis un charmant garçon. L’oeil hardi, la jambe leste, Frétillant comme un poisson Et joyeux comme un pinson. Je fus riche et maintenant Ma fortune est très modeste, Mais un physique avenant Ça vaut de l’argent sonnant.

Parlé Timoléon, pour vous servir ! 28 ans aux asperges, pas de corset ; descendant du côté des fâmes du célèbre Brimborion des oiseaux, professeur de vélocipède en chambre à la cour de François 1er. Mon adresse voilà, voilà.

Je demeure au Vézizi, Je demeure au zinetnet. Tout le monde me connaît, me connaît, Je demeure au Vésinet Tout le monde me connaît, me connaît, Je demeure au Vésinet.

2 Je ne vais pas sans lorgnon Bien qu’ayant la vue très bonne, Ça me gêne, pensez-donc ! Mais on sait que c’est bon ton. Et des ongles aux cheveux, Ma sémillante personne Est un assemblage heureux Poétique et vaporeux

Parlé Ça n’est pas pour me donner des gants de peau de chien. Mais à pied ou à cheval, en canot ou en voiture, j’ai un chic et un cachet qui m’ont valu les sourires les plus flatteurs des dames du meilleur monde. Ce à quoi j’ai toujours eu l’intelligence de répondre en jouant de la prunelle :

Je demeure au Vézizi &

3 Toujours frisé, pommadé, Au milieu ma raie est faite ; Une raie sur le côté, À présent c’est mal porté. Et le pantalon flottant Qui complète ma toilette, Par le bas s’élargissant Simule un pied d’éléphant.

Parlé Le dernier mot de l’élégance et du bon goût, quoi ! avec ça un chapeau aux bords imperceptibles, la chaussure en pointe, le gilet en coeur et quand la saison le permet le gracieux ulsters [long pardessus anglais] ou autrement dit la gâteuse [longue et ample redingote rappelant la capote portée par les gâteux dans les hôpitaux], qui laisse si loin derrière elle tout ce que les mousquetaires de Louis XV ont pu rêver de plus riche et de mieux fait. Ah ! Vous pouvez m’examiner allez ! (après une pirouette et le dos tourné) vous ne me verrez pas rougir, et puisqu’alors

Je demeure au Vézizi &

4 Les patins font mon bonheur, Surtout s’ils sont à roulettes, Je m’en sers à mon honneur, On m’en croirait l’inventeur. À la gymnastique, au bain, Je défierais des athlètes, Et le sexe féminin En tous lieux me tend sa main –

Parlé Ainsi dernièrement, dans les salons de Madame de St. Didier, j’étais auprès d’une demoiselle avariée… à marier, devant laquelle un vieux monsieur s’extasiait avec l’admiration du crapaud quand il contemple la girafe – Ses yeux semblaient lui dire : Ah ! Que vous êtes belle ! Plus je vous regarde, eh bien… plus je vous vois – mais elle, elle n’avait des yeux que pour moi. Je lui dis : pardon, mademoiselle – mais quel est donc ce vieillard âgé qui se permet de vous regarder quand je suis là ? Elle me répond : C’est un ami de Madame de St. Didier qui demeure à la Glacière – À la Glacière ? Et il ose encore ! Ah ! Le malheureux ! Et vous ? – Moi, Mademoiselle, je ne demeure pas à la Glacière…

Je demeure au Vézizi &

5 On croit que je m’y trouvais, Quand je parle des premières De l’Opéra, du Français, Où je n’assiste jamais – Pour l’audace et le bagout De ma trempe on n’en voit guère ; Je me faufile partout Et j’y parle un peu de tout.

Parlé Mon Dieu oui courses, théâtres, procès, bourse, littérature, tous les sujets de conversation me sont familiers, bien que je ne sache absolument rien – Ainsi dernièrement, mon ami le Vicomte de Laillenbote me dit : dites donc cher ? Venez-vous au théâtre miniature ? j’ai mes entrées dans les coulisses et je me fais fort de vous présenter aux actrices – Heureux mortel ! qui vous vaut cette faveur ? Taisez-vous donc, me dit-il, c’est moi qui entretiens l’ingénue – allons laissez-vous emmener – J’en grillais d’envie mais malheureusement je ne pouvais pas découcher sans manquer d’égards à mon concierge – Désolé ! Que je lui fais, mais je ne peux pas, pensez donc !

Je demeure au Vézizi &

6 Un grand tailleur, un matin, Me dit : voulez-vous, jeune homme Etre mis comme un gandin Sans que ça vous coûte rien ? Je réponds : certainement ! Il m’habille, et voilà comme Je suis, depuis plus d’un an, Un mannequin ambulant –

Parlé Seulement, je suis tenu de venir à Paris tous les jours et de me promener à pied sur le boulevard des Italiens à l’heure de l’absinthe, puis de m’installer à une table quelconque et de lier conversation avec la fine fleur des Crevés du Cercle de la haute gomme, et si l’un d’eux me fait l’honneur de me donner sa carte, je lui glisse en échange celle de mon tailleur – Comment ! Vous vous appelez Petermann et vous demeurez rue Grammont ? Mais vous badinez cher Baron ! – Moi ? Ah ! Je vous demande pardon, c’est mon tailleur dont je viens de vous donner l’adresse, par inadvertance assurément. Mais à propos je vous recommande, tenez, voyez sa coupe ! Quant à moi –

Je demeure au Vézizi & »

Ci-dessus et ci-dessous : Première page de la partition Un p'tit Pied grand comm'ça, « Chantée au Concert des Ambassadeurs Par Mr Libert ». Les paroles sont de Villemer-Delormel et la musique de Paul Courtois.

Gommeux

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Perruques féminines et cheveux courts au début du XIXe siècle

Merveilleuses perruques

Si à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe, la mode féminine comme la masculine sont aux cheveux courts, cela n’empêche pas de continuer à utiliser des perruques, qui se résument parfois à quelques faux cheveux accrochés aux chapeaux. Beaucoup de femmes, comme des hommes portant la perruque, se rasent les cheveux, d'où la nécessité de ces ajouts à certains couvre-chefs féminins et la continuité de l'usage de perruques, même lorsque la mode est aux cheveux courts.

Ci-dessus et ci-dessous : gravure de 1804, provenant sans doute d’une revue allemande, copiant le Journal des dames et des modes et présentant des perruques ainsi que des coiffes. Toutes ces dernières, sauf une, comprennent quelques cheveux.

Merveilleuses coiffes

Ci-dessous : Gravure d’époque, sans doute de la même revue allemande ci-dessus. Elle est datée de 1804 et signée « Neubauer fec[it] »

Merveilleuses cheveux
Merveilleuses et merveilleux

Les deux gravures ci-dessus, sont très probablement des copies allemandes, d’époque, de la revue française Journal des dames et des modes. J’écrirai un article sur les copies de gravures de mode françaises au XVIIIe siècle et au début du XIXe. À des époques où le droit d’auteur n’existe pas encore, cela est très fréquent, pour les livres notamment, sans doute depuis les débuts de l'imprimerie. Depuis l'Antiquité, la copie est aussi considérée comme un moyen de dupliquer et conserver la mémoire des originaux. Lors de mes études, j'ai fait un DEA sur les iconographies de la Comédie nouvelle antique (ainsi qu'un doctorat non sanctionné), et j'ai été étonné de constater combien des mêmes modèles sont reproduits à l'identique le long des siècles. Même certains manuscrits médiévaux ont des illustrations parfois identiques aux éditions antiques qu'ils copient.

Ci-dessous : Détail d’une gravure du Journal des dames et des modes, de 1807.

Merveilleuses coiffes

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L’aérienne Caroline Wuïet

Merveilleuses et merveilleux

Caroline Wuïet  (1768 – 1834) est une merveilleuse connue en son temps, mais vite oubliée. Enfant surdouée, protégée par la reine Marie-Antoine, elle émigre pendant la Révolution, et revient à Paris en 1797. Elle y devient une merveilleuse goûtant avec ravissement aux libertés offertes par son époque. Elle fréquente les incroyables et les merveilleuses qu’elle appelle aussi des « aériens », et les lieux où on les retrouve. Elle-même est une merveilleuse s’inscrivant comme une des premières féministes, publiant et lançant des revues, parfois politiques, affichant sa liberté et n’hésitant pas à s’habiller en homme si cela lui chante.

Dans Revue de Paris (année 1841, tome quatrième) un article lui est consacré. Il est intitulé : « Mémoires d’un bourgeois de Paris. Premier épisode. Une femme célèbre. » Dans celui-ci, l’auteur  commence par décrire l’estampe que je présente ici, avant de parler de celle qui y est gravée et qu’il connaît pour l’avoir fréquentée : « Parmi d’antiques gravures exposées à la porte d’un marchand, je venais d’en apercevoir une, sans intérêt pour le plus grand nombre, mais qui me rappelait, à moi, toute une époque : c’était un portrait allégorique gravé par Evangelisty et représentant une femme demi-nue. L’Amour, armé de son carquois, la retenait au moyen d’une guirlande de roses, tandis qu’elle faisait effort pour lui échapper en montrant au loin le temple de la Gloire. Au-dessous étaient gravés ces mots : “Mlle Caroline Wuïet, pensionnaire de la reine et membre décoré de l’Académie des Arcades.” J’avais connu l’original de ce portrait, et le souvenir que j’en conservais était encore plein d’émotion. Cette femme, aujourd’hui oubliée, avait excité l’admiration de mes contemporains ! À trois époques elle s’était montrée dans trois rôles distincts et les plus brillants qu’il fût alors donné à une femme de jouer. Ainsi on l’avait vue tour à tour enfant célèbre, protégée par Marie-Antoinette ; lionne du Directoire, mêlée à toutes les libertés de cette régence républicaine ; et enfin femme d’un colonel, partageant la fortune de guerre de l’empire. »

« C’était surtout à Tivoli, aux jardins d’Idalie, à Mousseaux, à Bellevue et à Frascati que se réunissait cette foule de déesses demi-nues, que les merveilleux du temps appelaient les médailles de Caracalla. Ce fut dans ce dernier endroit que je retrouvai Caroline Wuïet. […] une main se posa sur mon épaule. Je me retournai ; un jeune homme se tenait derrière moi, en souriant d’un air de connaissance. Je poussai une exclamation, d’abord de doute, puis de surprise : c’était Caroline Wuïet elle-même. – Vous ! m’écriai-je, ainsi vêtue ? – Que trouvez-vous à reprendre dans mon costume ? Dit-elle gaiement ; n’est-ce point celui de nos plus élégants aériens ? Voyez plutôt : le collet froncé, les manches de Gilles, la taille en guêpe et les culottes à la Hambourg. Mais il faudrait me voir à cheval, mon cher ; Brissi lui-même en est dans le ravissement. Il n’est pas un seul de nos incroyables qui sache porter les jambes plus en dehors, les bras plus en arrière et le menton plus en avant. » Dans la suite de ce dialogue, Caroline Wuïet utilise plusieurs fois les noms de « aérien » et « aérienne » et décrit quelques incroyables et merveilleuses d’alors, dont voici un exemple : « Il est coiffé à l’ourang-outang, ses pantalons sont brodés, ses gilets bordés, ses cravates empesées, son habit carré ! Ses yeux grassaient, son nez clignote, sa bouche minaude. Il joue, il monte à cheval, il danse, il fait des dettes, les foyers lui servent de boudoirs, les boudoirs de cabinets de toilette ; bref, les femmes en raffolent. »

J’ai acheté cette gravure, il y a quelques années de cela, à Paris, près de Stalingrad, dans un vide-grenier situé sur un quai du bassin de la Villette. Cette estampe est tachée, mais importante. Quand je me la suis procurée, je ne connaissais pas le personnage, mais l’ai choisie surtout pour son caractère harmonisant des thèmes qui me sont chers, comme l’antiquité, la nature, l’amour et le courant précieux. Comme dit plus haut, la légende indique : « MLLE CAROLINE WUÏET Pensionnaire de la Reine, et Membre décoré de l’Académie des Arcades ». Pour les signatures nous avons : « Composé par Muncian d’après le portrait de Mr de Romany » (sans doute François Antoine Romany : vers 1756 – 1839) et « Gravé par Vangelisty », graveur de la fin du XVIIIe siècle et du début XIXe. L’Académie des Arcades, ou plutôt des Arcadiens, est une société littéraire fondée à Rome, en 1690, par Christine de Suède. Chaque membre y prend le nom d’un berger ou d’une bergère d’Arcadie, comme Mme Duplessy qui est agréée en qualité de pastourelle, sous le vocable de Bérénice et reçoit à titre d’apanage, la province d'Argolide. Pour l’anecdote, on retrouve ma photographie de la gravure, avec toutes ses taches, en vente sans ma permission sur ce site. On comprendra pourquoi, depuis quelques années, j’inscris sur chacune de mes images publiées sur Internet l’adresse de mon site, et que je ne présente plus les photographies en une bonne définition. Quand je le fais, des gens s’en servent sans indiquer la source. J’en ai même retrouvées dans un livre, sans mention non plus de l’origine. Wikipédia met ou a mis dans le domaine public, et de manière internationale (d'abord le Wikipédia en anglais), une grande quantité de mes images en bonne définition, et cela souvent sans indiquer non plus l'origine, comme celle-ci. Finalement, dans la page de Wikipedia décrivant l'image, c'est moi-même qui ai ajouté un lien vers la page de mon site où avait été éditée la photographie, et espère qu'il ne sera pas enlevé. Mes photographies, je les retrouve en faisant des recherches sur des thèmes... Il est aisé de reconnaître une gravure ancienne, car chacune a ses défauts dus à l'impression, au coloriage, au papier et au temps. J'ai contacté Wikipédia sur cette dernière image, qui m'a répondu qu'ils suivaient la loi américaine stipulant que s'agissant d'une photographie d'une oeuvre non modifiée, ni le fait que le document d'origine m'appartient et que je l'ai acheté, ni le fait que la photographie a été réalisée par mes soins méritent selon eux l'indication de l'origine du site d'où elle a été extraite. Voici la réponse en anglais qui m'a été faite : « Dear Richard Le Menn, Thank you for contacting us in regards to this matter. However, it is our position that this does not actually qualify as a copyright violation. Photographs or reproductions of public domain works that are not transformative in nature are not subject to copyright protection. I refer you to the decision in the case Bridgeman Art Library Ltd. v. Corel Corp., 25 F.Supp.2d 421 (SDNY 1999), which can be consulted online at . Specifically, the court opines that under US copyright statutes, "[...] there 'appear to be at least two situations in which a photograph should be denied copyright for lack of originality,' one of which is directly relevant here: 'where a photograph of a photograph or other printed matter is made that amounts to nothing more than slavish copying.' The authors thus conclude that a slavish photographic copy of a painting would lack originality, although they suggest the possibility that protection in such a case might be claimed as a 'reproduction of a work of art.' But they immediately go on to point out that this suggestion is at odds with the Second Circuit's en banc decision in L. Batlin & Son, Inc. v. Snyder." (int. cit. omitted). While there is a further discussion that composition, angles or lighting might contribute sufficient originality to provide for copyright protection, there is no question here that the image is, and is intended to be, a faithful reproduction of the original. I would recommend that you seek legal counsel from an attorney specialized in intellectual property law if you have further questions on the matter. Yours sincerely, Jonatan Glad ». Si l’on suit cette argumentation, chacun peut donc publier à sa discrétion les photographies qu’il a faites d’oeuvres anciennes se trouvant par exemple dans les musées du monde ou chez des collectionneurs, et toutes les photographies qu’il trouve d’objets et oeuvres d’art anciens, si les photographies se contentent de les reproduire. Cela me semble douteux de pouvoir le faire sans les autorisations. Et puis cela soulève de nombreuses questions. En quoi la loi américaine serait-elle applicable pour des photographies prises sur des sites d’un autre pays ? L’appartenance de l’oeuvre ancienne photographiée n’a-t-elle aucune valeur ? Pour ma part, j’ai acheté chacune d’entre elles et dépense de l’argent pour leur conservation… Avec l’image, souvent on se sert de la description qu’elle contient, qui est aussi le fruit d’un travail. Ce travail n’a-t-il aucune valeur ? Au-delà de la loi, le fait de ne pas indiquer d’où vient la photographie, où elle a été trouvée, n’est-ce pas tout simplement inconvenant ? Loin d’enrichir internet, cela l’appauvrit, car si le travail et l’appartenance ne sont pas pris en compte, pourquoi ceux qui possèdent les originaux feraient-ils l’effort de continuer de transmettre ?

Merveilleuses et merveilleux

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La mesure du sur-mesure

J’ai récemment relu Shambhala La voie sacrée du guerrier (Éditions du Seuil, 1990, traduit de l’américain par Richard Gravel, titre original : Shambhala – The Sacred Path of the Warrior, Shambhala Publications Inc., 1984) de Chögyam Trungpa (1939 – 1987). Je ne sais pas ce que vaut ce lama (rimpoché) tibétain, car il est difficile de reconnaître l'honnêteté, mais il y donne des préceptes d’élégances très pertinents. L’art du guerrier, dont il est question ici, est étranger à toute violence. Il est celui de la maîtrise et de la connaissance de soi, du courage d’avancer en pleine lumière. Cette énergie est en elle-même élégance.

Dans un passage de cet ouvrage, il est évoqué l’importance de porter des habits bien ajustés. Voici cette partie :

« Parfois, quand nous portons des vêtements à notre taille, nous nous sentons un peu à l’étroit. Quand nous nous mettons en grande toilette, il se peut que nous soyons incommodés par le fait de porter un complet et une cravate, ou bien d’enfiler une jupe ou une robe trop justes. L’idée […] est de ne pas tomber dans le piège de la désinvolture. Le serrement que nous éprouvons de temps en temps au niveau du cou, de l’entrejambe ou de la ceinture sont, en règle générale, bon signe : il nous indique que les vêtements nous vont bien, mais que notre névrose n’est pas bien à l’aise dans ceux-ci. L’approche moderne est souvent libre et désinvolte, ce qui explique l’attrait des vêtements en fibres synthétiques. La tenue de ville nous donne une sensation de raideur et nous sommes tentés d’enlever cravate, veston ou chaussures afin de pouvoir nous laisser aller, mettre les pieds sur la table et agir librement, avec l’espoir qu’en même temps notre esprit se mettra lui aussi à agir librement. Au contraire : voilà qu’il se met à baver, il suinte et laisse s’échapper toutes sortes de détritus. Cette forme de détente ne nous offre aucune liberté réelle. […] Notre façon de nous habiller peut réellement invoquer un sentiment d’élévation et de grâce. » Pour ceux qui veulent en savoir davantage sur Chögyam Trungpa, voir l’addendum en fin d’article.

Sans parfaite mesure, il ne peut y avoir de détente véritable, de même que sans détente véritable il ne peut y avoir de parfaite mesure, car l’un ne peut s’apprécier sans l’autre. L’expression latine neglegentia diligens exprime cela : Diligens c’est l’attention, le soin, et neglegentia le laisser-aller. Avant de poursuivre, je dois dire que si, dans la suite de cet article, je continue d’employer d’autres citations latines et grecques, c’est parce que les vérités qui y sont dites sont sans âge, au-delà des époques car éprouvées par le temps.

On est dans l’harmonie des contraires, le yin et le yang. Dans l’Ancien Régime, on allie souvent une tenue cousue et très ajustée, presque comme une armure, à des éléments ‘lâches’, comme un manteau drapé, un châle, une écharpe, des rubans, une perruque aux longs cheveux bouclés, etc. C’est le cas particulièrement au XVIIe siècle. L’art des contraires est aussi important que celui des concordances, des congruences comme on dit dans l’Ancien Régime, ou de la gamme, comme disent les sapeurs.

Harmoniser consiste d’abord dans le choix, puis dans la mesure, de manières pratique et esthétique, et enfin dans l’ordonnance. Pour un habit, on commence par choisir les éléments le composant, notamment le ou les tissus. Ensuite on prend les mesures afin que le vêtement soit ajusté pour ne pas entraver outre-mesure et être agréable à regarder. On combine enfin chaque élément de l’apparence pour que l’ensemble soit accordé. Le « coordonné » est un terme emprunté à la mode. Il désigne cet assemblage cohérent. C’est un art qui nécessite une inclination esthétique et certaines connaissances. Il fait peut-être plus que le costume lui-même. Une personne portant des vêtements de peu de valeur peut se donner un véritable style et être appelé « petit-maître » ou « élégant » par sa simple intelligence du coordonné.

Si les supports en jeu sont multiples, chaque mode suit aussi son ordre nouveau basé sur ses rythmes. Ces derniers forment une trame reconnaissable. Il y a un art, une musique, une littérature, une philosophie, une attitude… propres à chaque mouvement. Cette ordonnance lie les différentes manifestations qui la composent. Elle se retrouve de même dans la personne qui suit cette mode et pense, parle, agit, bouge, danse, s’habille… selon. Cette unité de ton est une des bases de l’élégance, cette dernière et la mode étant encore une fois en étroits rapports quand elles ne sont pas confondues. L’élégant est comme un peintre, un cinéaste, un décorateur… un artiste qui place chaque chose avec goût, dans son âme, sur lui et chez lui. L’ordonnance est la marque du soin, de l’aptitude à manifester la mesure et l’harmonie. C’est un art que de connaître comment composer un bouquet de fleurs, de savoir où le placer, de créer des harmonies, un dialogue entre les objets, d’exprimer la beauté à travers toutes choses, depuis les plus petits détails jusqu’aux plus grands projets. L’agencement est créateur de beauté et de joie. Prenons une saveur, pour la percevoir pleinement on prépare ce qui précède et ce qui la suit, avec le temps nécessaire entre chacun des éléments. On cherche de cette manière à la prolonger, et plus que cela : à placer chaque chose à sa meilleure place afin de former un chapelet de délices. L’ordonnance amène de la clarté, une ossature sur laquelle l’élégant ou le gandin peut broder en toute spontanéité. Il a ainsi une trame grâce à laquelle son art peut s’exprimer d’autant plus librement et avec d’autant plus d’audace qu’il est harmonieux grâce à celle-ci. La préparation est importante pour tout. Un discours dispensé avec méthode est bien plus agréable que sans. On n’est pas obligé de suivre cette ordonnance, si en fonction du moment il semble que cela ne soit pas nécessaire ou préjudiciable à l’expression. Mais la spontanéité n’est souvent possible que si derrière il y a de la préparation, ou du moins un support. Là aussi on retrouve l’idée de neglentia diligens ! La mode a cette fonction de proposer une base nouvelle à partir de laquelle on compose avec d’autant plus de liberté qu’elle est naissante… toute neuve.

Chaque mode a donc sa trame. L’équilibre est primordial. Sans lui, on ne peut se tenir debout. S’il est physiquement indispensable, il l’est tout autant mentalement, ainsi que dans tous les aspects de la vie de tous les jours. Une personne peut se vanter d’avoir certaines grandes vertus d’élégance, s’il lui manque la stabilité, une certaine solidité, il ressemblera à un sot. Cela n’est pas le fruit de la seule volonté. Le mouvement peut amener au déséquilibre. L’équilibre n’existe pas non plus sans le mouvement. Il y a une balance à prendre. Il s’agit d’une sorte de danse comprenant une connaissance ou intuition des rythmes. L’élégance ne se force pas, car cela conduit à toutes les bassesses. Une personne pauvre cherchant à paraître riche, une autre vieille se faisant accroire jeune, une autre parlant intelligemment au milieu de sots… tout cela conduit ou au ridicule ou à l’abomination. Mieux vaut donner l’impression d’inélégance que de se forcer à l’être. Cela doit venir naturellement, être en situation. Chaque chose doit être à sa place. Si une personne fait mieux quelque chose que soi, on s’efface pour mieux jouir de ses qualités. Il est toujours préférable d’éclairer la beauté que la laideur, et d’accepter qu’une chose soit meilleure qu’une autre pour que la plénitude s’installe. L’équilibre ne s’obtient pas par la force, il est la force. Il est aussi à la source de l’égalité entre les êtres, de la justice. Si nous sommes tous égaux, nous sommes aussi tous différents. L’équilibre permet de lier ces deux états. La tenue et le maintien sont des corollaires de celui-ci.

Cette mesure n’est pas un repli sur soi. Au contraire, elle est distinction, dans la mesure où elle distingue tout. Elle est donc toujours dans l’à-propos : μέτρα φυλάσσεσθαι, καιρός δ'ἐπὶ πᾶσιν ἄριστος. « Observe la mesure : l’à-propos est en tout la qualité suprême. » Elle est vigilante (Hoc age. « Sois à ce que tu fais. »), en étant constamment ouverte, notamment à la fantaisie et à la démesure aussi. D’une certaine manière, rien ne lui est étranger. Lorsqu’elle joue avec la démesure, elle ne le fait jamais avec sérieux, toujours avec délectation, et ne se laisse jamais emporter par elle. Ne quid nimis. Μηδὲν ἄγαν en grec. « Rien de trop ». Et puis Abusus non tollit usum. « L’abus n’exclut pas l’usage ». L’élégance est à la fois en elle-même et hors d’elle-même, actrice et spectatrice. Cette complétude fait sa jouissance, sa volupté contentée.

Surtout, la bonne mesure est de se connaître soi-même, d’avoir conscience de nos limites et possibilités, de ce qui constitue notre personne et notre environnement. Gnỗthi seautón, Γνῶθι σεαυτόν, Nosce te ipsum en latin. « Connais-toi toi-même. »

Avec l’époque moderne, la mesure change. On passe du calcul harmonieux de l’anatomie, avec le canon antique où l’habit a surtout pour fonction de protéger et mettre en valeur le corps, à celle du vêtement qui façonne ce dernier et lui donne une nouvelle silhouette, tout en étant plus utilitaire. Si, dans les deux cas la mesure est présente, les rapports au corps et au costume sont quelque peu différents. Pourrions-nous imaginer aujourd’hui des Jeux olympiques où les athlètes seraient nus ? Avec la modernité, la mesure est technologique. La confection même des vêtements devient très ‘technique’ et de moins en moins un art du drapé ou du pli.

Avec cet important changement qui marque la modernité, on observe beaucoup d’autres bouleversements dans l’histoire de la mode… Presque à chaque génération, les usages se modifient, souvent emportés par une donnée neuve. Il suffit qu’un élément nouveau apparaisse, ou qu’une transformation se produise, pour que cela conduise à un changement d’équilibre. Par exemple, la notion de commodité dans le vêtement s’accroît en même temps que les voyages à longue distance se développent, que les moyens de transport se modernisent et que les distinctions sociales se démocratisent. Ces modifications en entraînent d’autres afin de conserver l’équilibre. L’être humain a besoin d’harmonie. C’est là où la mode intervient.

Si le mot « mode » vient du latin modus qui a aussi la définition de « mesure », le terme romain a une origine grecque, μέδω (médo), qui signifie contenir dans la juste mesure, régler, protéger, prendre soin de, s’occuper de, se préoccuper de… Il est toujours question de mesure, mais aussi de protection et de réflexion. La mode est réflexion, soin et mesure. Cette dernière apporte l’ordonnance, la beauté dans les proportions et les rythmes. Elle est une source de distinction : de connaissance. L’élégant la recherche tout particulièrement afin d’approcher la perfection, l’excellence. Elle donne du maintien.

La mesure est fondée sur les rythmes. Elle a un rapport étroit avec la musique, et est à la base de toutes les bonnes choses : la musique, la cuisine, l’amour, la spiritualité, l’étude, le jeu, la conversation, etc. Elle rend bon. Elle accorde des éléments antagonistes, qui semblent ne pas être faits pour se mélanger. Pour être appréciée, celle-ci doit prendre tout en compte ; en premier lieu celui qui la goûte. L’un préfère la musique classique, un autre une moins sophistiquée, etc. Tout est question de mesure. De celle-ci naît l’harmonie, et de son manque la maladie. Elle est une protection. En médecine on pourrait dire que tout est médicament, tout est maladie, seule compte la mesure. Paracelse (1493 – 1541) écrit : « Tout est poison et rien n'est sans poison ; seule la dose fait que quelque chose n’est pas un poison » (citation originale en allemand : Alle Dinge sind Gift, und nichts ist ohne Gift; allein die Dosis machts, daß ein Ding kein Gift sei.).

De la mesure naissent l’harmonie et le plaisir, la joie et le contentement… toutes les qualités. Elle fait apprécier les rythmes de la vie. Elle consiste en une association heureuse d’éléments divers. Avoir ‘l’œil’, ‘l’oreille’, ‘du goût’, ‘le sens’ (commun…), etc., c’est posséder cette science, de manière innée ou par la pratique. Elle peut être aussi bien intuitive que recherchée. Reprenons comme exemple la musique, on l’apprécie tout autant de manière spontanée, sans connaître les fondements de ce plaisir, qu’à partir de connaissances plus ou moins approfondies dans cette matière. La mesure se goûte et s’apprend. Dans le domaine des vêtements, c’est une évidence, comme pour tout ce qui concerne les arts décoratifs : harmonies de tons, de couleurs, de formes, de matières… peuvent être ajustées spontanément, mais les connaissances des spécialistes ou des amateurs aident. L’harmonie c’est l’union et l’accord, deux notions ayant un rapport étroit avec la paix et le bien-être. La concorde est une expression de la beauté. Si l’harmonie est aux fondements de l’élégance et de l’élégant, la paix l’est donc aussi. Elle peut être un simple rapport de convenance offrant satisfaction et agrément. On dit d’une personne, d’une voix, d’un instrument, qu’ils sont harmonieux. Il est question de l’harmonie dans mes écrits consacrés à la grâce et aux Grâces qui la symbolisent depuis des siècles. C’est une musique, une danse agréable. La mode, comme l’élégance sont une interprétation musicale.

La mesure permet d’être dans la note juste, dans le bon ton, d’être alerte, réfléchi, équilibré, accort… D’une certaine manière, l’élégance et la mode sont une prière et une méditation. Ce dernier mot aurait la même origine que celui de « mode » : le radical indo-européen commun med-. On peut atteindre la grâce par elle et en elle… sans jamais qu’il y ait un rejet, une coupure entre soi et le monde, un reniement de qui ou de quoi que ce soit. La fusion est totale.

Comme l’écrit Jean de La Bruyère (1645 – 1696) dans Les Caractères ou les Mœurs de ce siècle (1688) : « tout se règle par la mode ». J’ajouterais : « même la démesure ! » Oui la mode est aussi démesure. C’est en particulier vrai pour le costume à partir du dernier quart du Moyen Âge, jusqu’à la fin du Second Empire pour les femmes, et jusqu’au Premier Empire pour les hommes (voir mon article sur Le grand renoncement). Pour le Moyen Âge, poulaines (chaussures aux bouts exagérément pointus), chaperons (capuches) à la ‘queue’ de plus de deux mètres, manches tombantes en forme d’ailes d’oiseaux, habits mi-parti (avec des côtés de différents motifs, couleurs, tissus, tailles, grandeurs…), cols hauts, chapeaux de toutes les formes et grandeurs, jaques (pourpoints) rembourrés… sont quelques-uns des habits portés par les hommes aux XIVe et XVe siècles, avec pour les femmes des robes à longue traîne, de très hautes ou larges coiffures en forme de cornes, de cônes, etc. Le XVIe siècle en rajoute dans les rembourrages, et prend en largeur, en particulier dans les robes féminines qui, jusqu’à la fin du XIXe siècle se retrouvent régulièrement affublées d’éléments leur donnant toutes sortes d’ampleurs. Ajoutons les hautes perruques des hommes de la fin du XVIIe siècle ou les incroyables chapeaux du Premier Empire, pour donner quelques-unes des démesures vestimentaires. La mode est aussi démesurée dans d’autres matières, comme la langue avec les précieuses, la danse avec le cancan, etc.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la démesure n’est pas l’apanage des classes les plus riches, elle l’est aussi des plus pauvres. Pour ces dernières, elle leur permet de s’affirmer. C’est le cas notamment à travers certains costumes traditionnels, dont il est question par exemple ici. Dans l’histoire du costume, on rencontre une multitude d’exemples, de jeunes ou minorités souhaitant se signaler en usant de ce procédé. C’est le cas, dans les années 1930 – 1940 aux États-Unis, des zoot suiters d’origine hispanique, reprenant l’habit nord-américain en l’exagérant : créant ainsi un véritable genre ayant une élégance indéniable. En France, les zazous font de même pendant la seconde guerre mondiale, en pleine période de restrictions. Toujours aux États-Unis, aux débuts du rap, en particulier dans le quartier de Harlem semble-t-il, des jeunes portent des habits ayant des tailles largement au-dessus de leurs mensurations. Cette mode s’internationalise et perdure encore aujourd’hui. Dans les années soixante-dix, des ‘afro-américains’, particulièrement ceux écoutant de la soul, au contraire, ont des tenues étriquées, très colorées, avec des pantalons à pattes-d’éléphant, qui les font ressembler à des silhouettes du maniérisme italien du XVIe siècle… toutes proportions gardées… il va de soi. Dans les années 1970 – 1980, les Anglais sont les maîtres des extravagances, avec des mouvements comme le punk ou le gothique, dont on ne peut pas dire qu’ils soient d’origine ‘bourgeoise’. Même les modes vestimentaires françaises de l’Ancien Régime les plus exubérantes ne naissent pas toutes dans les classes aristocratiques… au contraire … le surenchérissement permettant de se manifester au-dessus de sa condition. C’est tellement vrai, que de nombreuses règles sont édictées, afin d’interdire ou réduire les velléités de grandeurs de certaines et de certains : longueurs des poulaines, des traînes… largeur des robes à panier… hauteurs de certains chapeaux et coiffes, etc.

La démesure nécessite cependant toujours un rééquilibrage afin de donner à ces nouvelles tournures une harmonie d’ensemble. Quand un élément de l’habit s’agrandit, d’autres le font en même temps, ou au contraire se rétrécissent, etc. Des règles s’établissent ainsi, parfois inconscientes, parfois définies… « Tout se règle par la mode ! »

Addendum : Ci-après, un film en anglais sur Chögyam Trungpa, dans lequel on y voit notamment Allen Ginsberg (1926 – 1997), un des créateurs de la Beat Generation et inspirateur du mouvement hippie, lui demander ce qu’il pense du rock’n’roll. De toute évidence, il n’en pensait pas grand-chose ; pourtant il était aussi vraiment dans ce mouvement, notamment en plein dans la vogue hippie. Son originalité a été par exemple de faire habiller ces hippies en costume sur-mesure ! Il y a de nombreuses années de cela, j’ai lu le livre biographique de Chögyam Trungpa. Un moment de cette histoire m’a particulièrement intéressé, lorsqu’il raconte comment il a complètement changé sa manière de vivre après un accident en voiture dans un magasin de farces et attrapes. Il s’agit d’une vraie anecdote ! À partir de ce moment, très violent (il est resté en partie paralysé pendant un certain temps), il a complètement laissé de côté les doctrines figées pour être dans l’authenticité pure, sans faux-semblants.

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Tisser ses habits

Merveilleuses et merveilleux

Ci-dessus : « Les heures paisibles de la veillée » dans un « intérieur breton ». Carte postale ancienne, avec une jeune femme actionnant un rouet afin de filer et deux autres cousant ou faisant de la broderie. La veillée est le moment, après la tombée de la nuit, généralement en hiver, où on se réunit autour d’un foyer afin de prendre du bon temps. Souvent, on se retrouve entre voisins afin de discuter, jouer de la musique, danser, raconter des contes aux enfants, faire de menus travaux, etc.

Jusqu’au XIXe siècle, dans les campagnes particulièrement, on tisse et confectionne la plupart des habits dans le foyer familial. Parfois, on produit soi-même la laine, le lin, le chanvre ou d'autres matières premières à partir desquelles on fait du fil à tisser. On utilise même l'ortie. La soie, quant à elle, est uniquement cultivée à grande échelle et beaucoup plus récemment (à partir du XIIIe siècle et surtout du XVIe). Le coton est tissé en France depuis encore moins longtemps et uniquement importé.

C’est surtout pendant les veillées et aux saisons froides que, dans les foyers, on passe du temps à carder, filer, tricoter, tisser, coudre, broder, faire de la dentelle (et autres passements), confectionner des habits, etc.

À la fin du XIXe siècle et au début du XXe, les photographies représentant des femmes en costume traditionnel les montrent souvent accompagnées d’un fuseau et d’un rouet. Ce sont des activités domestiques parmi les plus importantes, et cela depuis la plus haute Antiquité.

Merveilleuses et merveilleux

Ci-dessus : « Alsacienne au rouet ». Carte postale ancienne (1936).

Merveilleuses et merveilleux

Ci-dessus : Photographie d’une Berrichonne filant. Devant elle se trouve un rouet, et derrière la filasse, qui donne le fil, enroulée autour d’une quenouille. Le rouet se retrouve dans la plupart des foyers, jusqu’au XIXe siècle, en particulier à la campagne. Il permet de confectionner le fil. Il est un emblème d’autonomie. Cette carte postale date de 1918. Elle est oblitérée de l’année 1924 et de la série Les Chansons de Jean Rameau illustrées : « Le Rouet / Pour avoir de boune chemise / Si vous v’lez in conseil d amis / Arrivez brav’ gens que j’vous dise / Allez qu’ri vout’ toil’ dans l’ Berry / Pasqu’e y a encor’ que l’ rouet / Pour fair’ d’ la toil’ de ménage / On voit d’ partout dans nos villages / Filer les gent’s filles de l’endret. ».

La possibilité d’être autonome est primordiale. Si comme le dit l’adage : « on n’arrête pas le progrès », il est nécessaire de pouvoir toujours revenir à la simplicité. Il ne peut y avoir de sophistication sans ce savoir simple et premier. Je pense même que de nos jours, toutes les écoles de mode vestimentaire devraient installer leurs locaux de cours pour les premières années dans une ferme, au milieu de prés ou paissent des moutons, et de champs où poussent le lin et le chanvre, dans lesquelles on apprend à filer, tisser, tricoter, broder, faire de la dentelle, teindre avec des matières naturelles, enfin tous les rudiments qui donnent à chacun le savoir-faire-soi-même, avant même d’apprendre l’histoire de la mode, l’industrialisation et la commercialisation de celle-ci.

Aujourd’hui, nous sommes presque exclusivement habillés par le prêt-à-porter, et presque plus personne ne tisse ses propres habits. Dans l’histoire mondiale assez récente, on a pourtant un exemple d’être humain incitant les autres à le faire afin qu’ils soient autonomes : en Inde le Mahatma Gandhi (1869 – 1948). Il promeut l’utilisation de vêtements tissés à la maison (khadi). Il donne l’exemple en portant ses productions, et beaucoup de gens le suivent dans son pays. Le rouet est même alors incorporé au drapeau du parti du Congrès indien. Aujourd’hui, le drapeau indien ne conserve que la roue de celui-ci.

Ci-dessous : À gauche drapeau du Congrès de l’Inde de 1931 à 1947, et à droite drapeau indien actuel.

Merveilleuses et merveilleux

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Drôles de pistolets XVI : Caricatures des modes d’avant le XIXe siècle

Aujourd'hui d'une façon, demain de l'autre !

Gravure de vers 1700, de Nicolas Guérard (vers 1648 – 1719, dessinateur et graveur) intitulée : « AUJOURD’HUI D’UNE FAÇON DEMAIN DE L’AUTRE ». Cette estampe s’inscrit dans la caricature de mode. Elle est même un document de choix ! La légende indique : « PARIS Paradis des femmes Purgatoire des hommes l’Enfer des Chevaux / L’on prétend partout que Paris / Soit des hommes le Purgatoire / Et des femmes le Paradis / Comme il paraît en cette histoire / Passe à cela pour tous nos maux / Que l’Enfer soit pour les chevaux. » L’image montre un personnage à cheval, à moitié femme et à moitié homme, tenant deux horloges.

L’une présente une « JOURNÉE DES FEMMES DE PARIS ET LEUR PARADIS », avec « Lever », « à la Toilette », « à la Messe », « à la Table », « Jeu Visites Collations », « Promenade Comédie Opéra », « Après Souper Jeu ou Bal », « Coucher », « beaucoup de repos peu de fatigue ».

Modes féminines à la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe à Paris

La seconde horloge déroule une « JOURNÉE DES HOMMES DE PARIS ET LEUR PURGATOIRE » : « Lever », « Pour soutenir sa famille faut dormir peu et travailler beaucoup », « Pour faire valoir son talent faut suer sang et eau », « Pour avoir un emploi faut remuer Ciel et Terre », « Pour voir la fin d'un procès faut souffrir mort et passion », « Pour inventer des modes faut se casser la tête », « Coucher », « beaucoup de fatigue peu de repos ! »

Parisien à la mode sous Louis XIV

D’autres textes de l’image se trouvent sous l’inscription « PARIS Source des Modes ».

Du côté de la femme on a : « Mode de se mettre du grand air. », « Mode d’avoir des souris. » [les souris sont des noeuds en nonpareille (ruban étroit) que les femmes portent à cette époque], « Mode de cacher son âge. », « Mode de se mordre les lèvres. », « Mode de se rengorger. » [se rengorger consiste à avancer la gorge tout en mettant les épaules et la tête un peu en arrière de manière vaniteuse], « Mode de ruiner un mari par la dépense », « Mode d’aller à toute bride et de crever les chevaux. », « les Chevaux meurent sous le fardeau ».

Du côté de l’homme est inscrit : « Mode d’outrer les modes d’un grand chapeau un petit d’une cravate de 2 aunes une de 3 quartiers. », « Mode de se barbouiller le nez de tabac et le justaucorps de farine. », « Mode d’aimer les nouveautés. Mode d’aller à toute bride et de crever les chevaux. », « les hommes servent de mulets ».

Caricature de mode XVIIe - XVIIIe siècles

Pour en finir avec nos drôles de pistolets du XIXe, parlons donc un peu de la caricature de mode qui précède ce siècle. Nicolas Guérard est à l’origine de plusieurs caricatures des modes de son époque. J’en présente ici deux, ci-dessus et ci-dessous, mais il en a réalisé beaucoup d’autres, comme : Argent fait tout – Mariage à la mode ; Testament à la mode et deuil joyeux ; La Coquette. – Miroir des Dupes ; Vie voluptueuse. – Elle a plu elle plaît elle plaira ; Mode bourgeoise. – Tout ce qui reluit n’est pas or ; Le Pont-neuf vu du côté de la rue d’Auphine – L’embarras de Paris. Plusieurs gravures de mode de cet auteur sont présentées ici.

L’histoire de la gravure de mode française nous est connue notamment par les travaux de Raymond Gaudriault (1912 – 2003), qui a écrit La Gravure de mode féminine en France (Paris : Éditions de l’Amateur, 1983) et Répertoire de la gravure de mode française des origines à 1815 (Paris : Promodis-Ed. du Cercle de la librairie, 1988). À travers les gravures recensées, on apprend beaucoup sur la mode vestimentaire et les petits-maîtres qui la portent, mais beaucoup moins sur la mode en général et ses nombreux rythmes que ne le font les caricatures des modes. Dans les articles de ce blog de la série « Drôles de pistolets », je mets en avant quelques artistes du XIXe siècle, et même de la fin du XVIIIe mais ayant aussi vécu au siècle suivant, qui ont produit des documents sur le sujet. Pour les siècles qui précèdent, le travail est plus difficile, et je possède peu d’exemples d’époque à vous montrer, puisque dans cette série sur les drôles de pistolets je n’expose que des documents m’appartenant.

Ci-dessous : Gravure du même artiste que précédemment. Elle a pour double titre : « PEINTURE SANS MAÎTRISE », « LA TOILETTE ». Une dame est représentée à sa toilette, se faisant peigner et maquiller, et maquillant aussi une autre. Le caricaturiste se moque ici du maquillage qui ressemble à de la véritable peinture.

Dame à sa toilette se maquillant et se faisant peigner XVIIe - XVIIIe siècles

La légende stipule : « Fuyez Amants, les mouches sont en sentinelle / Pour vous jouer de quelque mauvais tour : Gare c’est l’assassin [genre de petite mouche dite « assassine »], employé par ces belles / Qui doit vous percer, Zest, d’une flèche d’Amour / Quand vous auriez gagné le pendre / Vous n’auriez pas plus d’Archers après vous / Tous leurs attraits sont masqués pour vous prendre / Pauvres amants prenez bien garde à vous. »

Dans la partie haute de cette gravure on lit : « Laissons gloser ces esprits mal timbrés / Par un bel Art réparons la nature / Cachons sous la couleur nos attraits délabrés / Et nous aurons un teint fleuri en miniature / Un teint bien refait et d’un éclat merveilleux / Oui Madame je vois déjà briller vos Yeux / l’Admirable Art de la Peinture / C’est un trésor qu’enrichit la nature / Car je vois qu’à chaque coup de pinceau / Vôtre teint prend un éclat tout nouveau / Surtout quand vous jouez de la prunelle / O Ciel que d’Esclaves en vous voyant si belle / En vous voyant on voit la mère des Amours / Qui triomphe des coeurs mais plaçons en vedette / Près de l’oeil l’assassin et la mouche coquette / Et nous verrons tantôt beau jeu au cours [Promenade du Cours la Reine].

Dans la partie basse il y a ce texte : « Iris croit par le fard d’être belle et de plaire / Son visage plâtré n’est qu’un mauvais ragoût / Elle gâte son teint en croyant le refaire / Et prétend plaire en donnant du dégoût. »

Au milieu, vers l’enfant (à gauche) est inscrit : « la Fille écoute et elle apprend de sa mère à faire un jour ce qu’elle lui voit faire » ; entre les deux jeunes femmes se maquillant : « Méthode de peindre en miniature sur le cuir et la peau » ; et près de celle peignant (située à droite) : « Peignes de Plomb servant à peindre les cheveux roux en brun ». Sur la table de toilette : « Arsenal de la mollesse » et « Artillerie des Coquettes »

Belle devant sa table de toilette se maquillant et se faisant peigner XVIIe - XVIIIe siècles

Dans le dernier tiers du XVIIIe siècle, au temps des hautes coiffures féminines en boucles, beaucoup de gravures se moquent de celles-ci. On compte par exemple une série anonyme mettant en scène « Mademoiselle des Faveurs », « Mademoiselle des Soupirs » et le « Baron du Caprice », comme Mlle des Faveurs à la promenade à Londres ; Mlle des Faveurs aux Tuileries à Paris, ou Vengeance de la volaille déplumée contre la coiffure emplumée de Mlle des Soupirs. En voici d’autres : Les funestes effets de la coquetterie ; Coiffure pour homme ; Coiffure de grand goût ; Départ de la promenade – Des boulevards de Paris ; Le stratagème amoureux ; L’incendie des coiffures ; Tiens vois-tu ce logis portes-y ce billet… ; Le maître de musique élégant qui donne leçon à Mlle Sara Frian et aux gens de sa suite ; La brillante toilette de la déesse du goût ; Madame la Comtesse de M… En voici deux du XVIIe siècle : Les enfarinés – Les mouches et Le branle des modes françaises.

Comme le sujet n’a pas été étudié, ce n’est pas très facile de les trouver… Il me semble que peu de ces caricatures sont signées, alors que les gravures de mode le sont souvent, avec, par ordre décroissant, des noms comme François Watteau (1758 – 1823), Claude-Louis Desrais (1746 – 1816), Augustin de Saint-Aubin (1736 – 1807), Nicolas le Jeune Dupin (1753 – ?), Louis-Joseph Watteau (1731-1798), Jacques Sébastien Le Clerc (1733 – 1785), Antoine Hérisset (1685 – 1769), Jean Mariette (1660 – 1742), Bernard Picart (1673 – 1733), Robert Bonnart (1652 – 1733), Jean-Baptiste Bonnart (1654 – 1726), Nicolat Arnoult (vers 1650 – vers 1722), Nicolas Bonnart (vers 1637 – 1718), Sébastien Leclerc (1637 – 1714), Henri Bonnart (1642 – 1711), Antoine Trouvain (vers 1650 – 1710), Jean Dieu de Saint-Jean (1654 – 1694 ou 1695), Abraham Bosse (1604 – 1676), Jacques Callot (1592 – 1635), François Desprez (ou Deserps, vers 1536 – vers 1585), etc.

Ci-dessous : « ENTRÉ[E] DU BARON DU CAPRICE Chez Mlle des Faveurs ». « De ces jeunes faquins Dieux, quelle est la folie, / Voyez à quel usage ils emploient la vie, / Voilà jusqu’à quel point les fades d’à présent, / Bornent tous leurs plaisirs, leurs goûts, leur argent. » Sur cette gravure d’époque Louis XVI, un petit-maître fait casser l’entrée de la demeure de sa maîtresse afin de pouvoir y entrer avec sa haute coiffure.

Entrée du baron du caprice

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Drôles de pistolets XV : Cocottes & petits crevés

Merveilleuses et merveilleux

« Ne touchons pas à ça ! » Première page de couverture d’une partition du second tiers du XIXe siècle. Les cocottes, cocodettes et autres crevettes se maquillent beaucoup, comme dans l'Ancien Régine, de blanc, de rouge et s'ajoutent des mouches sur le visage. Du reste on est encore dans l'Ancien Régime, à sa toute fin avec le Second Empire (1852 - 1870), ce qui n'est plus le cas pour la cocotte représentée ici et dont les habits sont de vers 1890 (robe à strapontin qui donne un effet 'retroussé') . Dans le dernier tiers du XIXe siècle, elles font aussi ressortir leurs yeux en les entourant de noir, ce qui donne des visions très pittoresques, peu naturelles mais très stylées. Cette chanson serait de 1873. Les auteurs des paroles sont Félix Baumaine (1828 – 1881) et Charles Blondelet (1820 – 1888), et la musique est d’Émile Duhem (1848 – 1918).

Merveilleuses et merveilleux

Parler des petits-maîtres m’apporte de la gaieté, de la fantaisie et de l’humour. Je trouve dans ce sujet plein de vie, de l’invention, de la créativité, du merveilleux et de l’élégance. La nouveauté propre à ces merveilleux renseigne aussi sur ce qui les précède, notre passé, et sur ce que sont la beauté, l'élégance et d'autres beaux éléments, un peu comme le négatif d’une photographie qu’il suffit de développer pour y voir une image claire. C’est une étape vers un domaine plus chargé d’élégance.

Les premiers dans un nouveau genre de petits-maîtres sont toujours éloignés de ceux qui les copient et ternissent leur image, et de ceux qui les critiquent, peut-être par jalousie de leur jeunesse, de leur beauté, de leur courage de s’afficher différemment… C’est le cas pour les premières de celles que l’on appelle les « cocottes », qui sont des jeunes et jolies femmes à la mode, indépendantes et libres ou souhaitant afficher une certaine liberté. Leurs manières sont vues par beaucoup comme provocantes, voire un signe de mœurs légères. Elles sont vite imitées par toute une ‘jungle’. Mais il ne faut pas confondre.

Il faut rappeler qu'au XIXe siècle, la vie des femmes est loin d'être facile, et que beaucoup veulent exposer de plus en plus leur indépendance, ce qui ne plaît pas à certains hommes qui préfèrent les voir comme de simples objets de leurs vouloirs. Les premières féministes font leur apparition, entraînées par les bas-bleus, les lorettes, les grisettes, les vésuviennes et beaucoup d'autres dont je parle dans mes livres.

Ci-dessous : « L’éducation d’Ernestine ». Image de la série « Fantaisies parisiennes, par A. Grévin. » La cocotte est souvent caricaturée comme étant vénale, attirée par l'argent.

Merveilleuses et merveilleux

« 24 Mars 1867 » « A. Dumas Fils ». Sur un panneau est inscrit : « Grande fabrique de rosières d'occasion réparations réhabilitations etc. etc. ». Alexandre Dumas fils (1824 – 1895) invente le mot de « demi-mondaine », et évoque ce genre de femmes dans plusieurs de ses romans et pièces de théâtre. La cocotte est rapidement assimilée à ce demi-monde.

Merveilleuses et merveilleux

« Facétieux sans le vouloir. – Laissez passer la volaille !!! », de la série « Balivernes, – par A. Grévin. » du Petit journal pour rire.

Merveilleuses et merveilleux

Je le répète, les petites-maîtresses et les petits-maîtres sont souvent moqués, surtout bien sûr par les caricaturistes. Leurs manières ne sont pas du goût de tout le monde. Il faut rappeler que ce sont des adolescents ou des jeunes adultes. Ils sont donc souvent assez libres voire entreprenants en amour. C’est de leur âge ! Mais cela ne marche pas obligatoirement toujours bien, en particulier lorsqu'ils sont hors de leur milieu… Quelques caricatures se moquent de petits-crevés n'ayant pas le même succès en ville et à la campagne, où les jolies femmes peuvent être farouches... mais pas toujours bien sûr !

Merveilleuses et merveilleux

Ci-dessus : Sur cette carte postale envoyée en 1921, un godelureau petit crevé tente sa chance auprès d’une jolie Normande : « - Vous créyez qu’ça prend, M. le godelureau ?… Allez dont dire ça à vos “crevées” de ville !… » Si on appelle « crevés » ou « petits-crevés » certains jeunes élégants, leurs homologues féminins sont généralement nommées « crevettes », et il est plus rare d’entendre « crevées ».

Ci-dessous, un élégant, trop entreprenant au goût d’une paysanne, reçoit une gifle : « Allez donc avec vos cocottes de parisiennes, enjoleux ! » Assiette de Creil et Montereau, d'entre 1840 et 1876, de la série « Nos bons villageois » (n°5). Toute ma collection d’assiettes du XIXe siècle sur la mode et ses petits-maîtres est visible ici. La caricature de mode n'est en effet pas seulement présente dans des revues ou estampes, mais aussi sur des céramiques, notamment sur les assiettes dites « parlantes » du XIXe siècle, en suivant un procédé qui d'après cette page de Proantic : « consiste à graver un motif sur une plaque puis à le reporter sur une pièce par transfert ».

Merveilleuses et merveilleux
Merveilleuses et merveilleux
Ci-dessous : Le petit livre (le format de poche n'est pas inventé au XXe siècle et existe dès les débuts de l'imprimerie en Occident) d’Édouard Siebecker, de la série Physionomies parisiennes et intitulé Cocottes et petits crevés (1867), met en scène ces deux petits-maîtres. Leurs descriptions sont peu flatteuses, mais le texte a pour mérites de placer ces personnages dans le contexte historique de la généalogie des petits-maîtres et de représenter certains dans leurs habitudes contemporaines. Les quatre illustrations sont d’Alfred Grévin (1827 – 1892). Son petit crevé ressemble au gandin de la première image de cet article (à notre droite). J'ai acheté ce livre au libraire qui le présente ici. Je rappelle que tous les documents de mon blog dont l'image comprend l'adresse de mon site, appartiennent à ma collection.
 
Le petit crevé
La cocotte
Cocottes et petits crevés

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Drôles de pistolets XIV : Le bœuf à la mode merveilleuse et incroyable

Merveilleuses et merveilleux

À la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe, plusieurs caricatures représentent « le bœuf à la mode ». Elles se moquent des merveilleuses, incroyables et autres nouveaux riches qui prennent le costume étriqué (« ginguet ») de la nouvelle mode. Voici des passages d’une chanson du « Citoyen Aubert » décrivant cet animal :

« […] Lorsque je lui [le Français] vois comme à ces lourdeaux,
Des habits carrés à très-large dos,
Dans petits souliers, mettre pieds fort gros,
Je dis c’est (le Boeuf) à la mode.

Maintenant l’on voit un homme bien fait,
Sous l’habit carré paraître mal fait,
Culotte tombant à demi-molet,
Et chaussure qui l’incommode,
Son menton caché d’un large mouchoir,
Qui dans un repas lui sert de bavoir,
Fait lorsqu’il s’aperçoit dans un miroir,
Qu’il se voit (en Boeuf) à la mode.

L’autre jour un rentier se promenait,
Près d’un nouveau riche il le reconnaît,
Il voyait Picart, son ancien laquais,
Dans un phaéton [voiture à cheval, très légère et découverte à la mode alors chez les merveilleuses et les incroyables] fort commode ;

[…] Nos Merveilleuses par des goûts nouveaux,
Portent courte taille au milieu du dos,
Une ceinture montant jusqu’en haut,
Et robe, en chemise commode ;
Cheveux tortillés comme un tire-bour[re],
Leurs yeux quelquefois sont privés du jour,
Secouant la tête elles font tour à tour,
Tout comme le Boeuf à la mode.

Pour toutes ces femmes à phaéton,
Le plumet de paon n’est plus de saison,
Un balai de paille pend sur leur front,
De même un chapeau fort commode ;
Un châle effroyable par sa grandeur,
On dirait un drap, sauf à sa couleur ;
Des pendants d’oreille de la longueur,
Des cornes du Boeuf à la mode. […] »

Cette chanson se poursuit, aussi gentiment, en décrivant le maquillage des merveilleuses, leurs chapeaux et leurs coiffures.

Photographie ci-dessus : Gravure de vers 1797, avec un bœuf habillé en merveilleuse, gravée par « L C Ruotte » (Louis Charles Ruotte : 1754 – 1806), d’après un dessin de « Swagers », sans doute Frans Swagers (1756 – 1836), peintre originaire d’Utrecht, aux Pays-Bas, mais travaillant à Paris jusqu’à la fin de sa vie. Beaucoup de ses peintures représentent des paysages lacustres ou des marines. L'arrière-plan de cette estampe rappelle son pays natal. Quant à Louis Charles Ruotte, il grave par exemple La Rencontre des incroyables (1797).

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Braveries, robes déguisées et congruences

Merveilleuses et merveilleux

Ci-dessus : Gravure allemande du XVIe siècle, montrant un aspect de la mode masculine à cette époque : chapeau plat avec panache (plumes) et sur la représentation de dos il est haut et rond ; barbe et moustaches, ces dernières peuvent être très grandes ; manteau court en damas ou brocart à haute encolure ; chemise à col découpé (début de fraise) ; pourpoint à haut col et chiquetures (taillades) ; le haut-de-chausses (parfois appelé « braies ») a de nombreuses taillades (crevés) et la braguette est proéminente, sans doute une bourse (petit sac dans lequel on garde de menus objets comme des pièces) nouée ; chausses et bas-de-chausses tenus par des jarretelles en ruban ; et chaussures aussi tailladées, alors que sur la représentation de dos il porte des bottes sans talon, peut-être ce qu’on appelle des « bottes fauves » c’est-à-dire en cuir jaune et très étroites, portées par les galants (amoureux), à moins qu’il s’agisse de bas-de-chausses en bottes ; il a des gants, une grosse bague sur un doigt de la main gauche, et tient dans la droite un mouchoir.

En m’intéressant aux domaines de la mode et de l’élégance, je découvre d’anciens mots français aujourd’hui oubliés, comme « braverie ». Ce dernier signifie de l’élégance dans l’habillement, voire de la magnificence.

Avant d’appeler « français » la langue française, on la nomme « roman », c’est-à-dire « langue de Rome ». Le terme de « roman » est plus approprié que celui de « français », car la langue française est en très grande majorité issue du latin, avec seulement quelques rares mots venant des Celtes et des Francs. Parmi les premiers grands écrits l’utilisant, on compte la Chanson de Roland, texte aussi appelé Roman de Roncevaux, des adaptations de belles histoires de l’Antiquité qui donnent au XIIe siècle Le Roman de Thèbes, le Roman d'Énéas et le Roman de Troie, des romans de chevalerie d’origine celtique (bretonne) comme ceux de Chrétien de Troyes (vers 1130 – vers 1185), et d’autres sortes comme le Roman de Renart (XIIe siècle). Comme on appelle aussi ces œuvres des « romans », on donne alors le nom de « français » à la langue.

Dans ces romans, on a quelques descriptions de vêtements médiévaux. Ceux-ci sont à peu près les mêmes chez les femmes et chez les hommes, jusqu’au XIIIe siècle : chemise, chausses, braies (surtout pour les hommes), robe ou cotte, surcot, mantel. La robe survit jusqu’à aujourd’hui, mais en Occident seulement pour les femmes ou certaines activités (religion, justice…). Par contre, la chemise est encore très présente… surtout chez les hommes, même si, à partir de vers le début du XXe siècle et surtout après la seconde guerre mondiale, elle devient beaucoup plus courte et ne ressemble plus à la tunique comme autrefois.

À partir du XIIIe siècle, le vêtement est de plus en plus cousu et les modes changent de plus en plus rapidement, avec un feu d’artifice de formes, de couleurs, de fantaisies. Cela vient en grande mesure d’un goût prononcé pour la création, la poésie qui s’exprime aussi dans l’art du vêtement : de la guise. La « guise » est une manière, une fantaisie, un goût, une coutume, une habitude, une apparence… Ce mot se prend aussi pour la mode et la façon de s’habiller : « la nouvelle guise » est la mode nouvelle. Un déguisement est une façon différente de se vêtir de celle qui est habituelle.

Au Moyen Âge, on appelle « robe déguisée » un vêtement féminin ou masculin très original par sa richesse inventive, mis par la noblesse ou d’autres lors d’une fête, d’une assemblée, ou d’un autre moment important. C’est essentiel pour comprendre le goût dans la mode française pour l’invention, l’extravagance et la féerie, tout autant que pour la qualité, le bon ton et la belle manière. Cela se traduit aux XIVe et XVe siècles par des vêtements comme la houppelande, une longue robe masculine ou féminine avec de larges et pendantes manches, des vêtements colorés, brodés, des chaussures incroyables, des chapeaux et coiffures féminines très excentriques. Le XVIe siècle est tout autant innovant et truculent, avec par exemple ses habits rembourrés, le XVIIe avec ses grandes perruques et ses rubans, le XVIIIe avec ses robes à panier… Les exemples à ces époques ne manquent pas ! Et je ne parle là que de vêtements, alors que je pourrais le faire aussi pour les autres parties de la mode.

L’exubérance est donc de mise dans les codes sociaux et appréciée à sa juste valeur. Il ne s’agit pas de n’importe laquelle. Il est difficile d’expliquer cela. Il y a de la fraîcheur dans cette originalité. Je me rappelle un film de vers les années 1940 où un père ouvrier achète avec sa fille (une jeune femme) et pour celle-ci un chapeau très fantaisiste, en regardant son enfant comme portant le dernier grand chic. Il s’agit non seulement d’être dans le ton mais aussi un peu en avance sur celui-ci ou en décalage, de l’éclairer. Le sujet s’aborde tout autant avec humour que sérieux, avec imagination que goût, avec fantaisie qu’intelligence ou cœur… et toujours avec plaisir et joie. La préciosité n’est pas seulement dans la richesse matérielle, mais dans bien d’autres domaines. La fantaisie du vêtement est alors vue comme une richesse, une capacité d’invention de celui ou celle qui le porte, une intelligence.

Le déguisement n’empêche donc nullement la congruence, au contraire. Il faut que les éléments de la vêture soient congruents (ou congruants), comme on dit dans l’Ancien Régime, c’est-à-dire adéquats, exprimant une harmonie, quelque chose de plus qu’un simple coordonné.

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Les muscadins pirates nouveaux romantiques incroyables et merveilleux.

Si les noms de « merveilleux » et « merveilleuses » sont utilisés bien avant le Directoire (1795 – 1799) pour désigner des jeunes gens extravagants, ceux de la Révolution française marquent véritablement les esprits, car les ‘derniers’ représentants de la mode de l’Ancien Régime, avec ses petits-maîtres musqués, grasseyant, fauchant le persil, marchant sur la pointe des pieds, galants, colorés, excentriques et novateurs. Depuis cette période, incroyables et merveilleuses n’ont cessé de réapparaître dans l'imaginaire collectif.

Tout d’abord on les représente sur de nombreuses estampes d’époque Directoire – Premier Empire, dont beaucoup venant de ma collection sont reproduites dans mes livres et ce blog, mais aussi ailleurs.

L’incroyable et la merveilleuse deviennent des personnages (masques) présents à presque tous les bals masqués du XIXe siècle, et continuent de l'être un peu dans la première moitié du XXe.

Ci-dessous : Détail d'une image provenant d'une revue du XIXe siècle. L'illustration est intitulée « Bal à l'Opéra ». La jeune femme de gauche porte un costume d'incroyable.

incroyables et merveilleuses

On les retrouve dans des pièces de théâtre, en particulier autour de l’univers du personnage de Madame Angot, une femme du peuple devenue riche du fait des évènements révolutionnaires. Antoine-François Ève, aussi appelé « Ève Demaillot » (1747 – 1814) écrit plusieurs pièces de théâtre la mettant en scène, dès 1797, avec cette année Madame Angot, ou la Poissarde parvenue, puis Le Mariage de Nanon, ou la Suite de Madame Angot. En 1799, il publie Le Repentir de Madame Angot, ou Le mariage de Nicolas, et en 1803 Les Dernières folies de Madame Angot. Il est largement imité, et son personnage devient le sujet de plusieurs pièces, chansons… pendant tout le XIXe siècle. Par exemple, Charles Lecocq (1832 – 1918) compose en 1872 une opérette intitulée La Fille de madame Angot.

En 1873, la pièce de Victorien Sardou (1831 – 1908), Les Merveilleuses, a beaucoup de succès. Elle est même traduite et notamment jouée en Angleterre où, là aussi, elle acquiert une certaine notoriété. On retrouve notamment les costumes de merveilleuses et d’incroyables tirés de la pièce de Victorien Sardou dans l’ouvrage Costumes du Directoire (1875) comprenant trente eaux-fortes de A. Guillaumot fils (d’après des dessins de « MM. Eigène Lacoste et Draner »).

Voir sur ces sujets un ancien article que j’ai écrit : Représentations d’incroyables et de merveilleuses aux XIXe et début XXe siècles.

Ci-dessous : Photographies cartes postales, de la fin du XIXe siècle ou du début du XXe, d'acteurs jouant un incroyable de la pièce Les Merveilleuses de Victorien Sardou. Le premier est Félix Galipaux (1860 – 1931) et le second Charles Prince (1872 – 1933). Je ne sais pas si ceux-ci jouent dans une représentation tardive de la pièce ou se mettent seulement dans la peau d'un des personnages pour la photographie, mais Félix Galipaux, en 1893, est un des comédiens de la pièce de Victorien Sardou et Emile Moreau intitulée Madame Sans-Gêne.

incroyables et merveilleuses
incroyables et merveilleuses

Ci-dessous : « L'incroyable danseur ou le Cothurne-Grelots Rondeau Chanté et dansé par Mr Pichat à la Scala ». Partition de vers la fin du XIXe siècle.

incroyables et merveilleuses

Certains personnages du XIXe siècle font aussi penser à l’incroyable, comme Cadet Rousselle, ci-dessous représenté dans une image d’Épinal.

Merveilleuses et merveilleuxMerveilleuses et merveilleux

Ci-dessous : Petit bouton du XIXe siècle ou de la première moitié du XXe. Les incroyables, eux, comme les merveilleux en général des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, en portent d'énormes.

incroyables et merveilleuses

Le début du XXe siècle français redécouvre les merveilleuses et s’inspire de leur liberté : robes diaphanes, abandon du corset… Des revues de mode reprennent des titres empruntés à l’époque des merveilleux que l’on représente beaucoup (estampes, statuettes, etc.).

Photographies ci-dessous : Article de la revue Les Annales politiques et littéraires du 18 janvier 1914, avec un article sur les merveilleuses et les incroyables. « La Mode de 1797. La Mode de 1914. »

incroyables et merveilleuses
Incroyables et Merveilleuses

Durant l'entre-deux-guerres, on continue de publier de nombreuses images de merveilleuses et d'incroyables et de créer des statuettes en céramique les représentant.

Certaines de ces représentations peuvent sembler parfois un peu mièvres, comme ces peintures sur assiettes ci-dessous.

Incroyables et Merveilleuses
Incroyables et Merveilleuses

Ci-dessous : En 1972, est édité un timbre sur le sujet des incroyables et des merveilleuses.

Incroyables et Merveilleuses

En 1979 – 1981, Malcolm McLaren (1946 – 2010, créateur des Sex Pistols) et sa compagne couturière Vivienne Westwood (on peut voir de ses créations dans cet article du blog et celui-ci), tous deux gérants de la boutique londonienne SEX située sur Kings Road, lancent la mode Pirate et Nouveaux romantiques. D’après Laurent Manet, « la boutique Sex était renommée World's End pendant la période pirate, et pour l’anecdote le plancher était penché comme dans un navire, très pratique avec des talons, et la grosse horloge de la façade tournait à l'envers. » Cette boutique est toujours en place, et Vivienne Westwood toujours active, cette fois en prophétesse (voir ici, son blog ici, le site de sa boutique ici et des images du lieu ici). Dans les années 1980, le post-punk est à l’origine d’une impressionnante quantité de tendances particulièrement imaginatives, avec notamment la new-wave (Joy Division, Gary Numan, les Allemands Kraftwerk, Simple Minds…) proprement dite, dont d'autres mouvements peuvent aussi se revendiquer : Gothic avec des groupes comme The Cure, Fun (Banarama, Duran Duran ou Kajagoogoo…,), Pirate (Adam and the Ants…), New Romantic (Visage, Spandau Ballet…), Ska (Madness…), Rockabilly (The Stray Cats…), Industriel (les Allemands Einstürzende Neubauten…), Electronic Body Music (les Belges Front 242…), etc., etc., etc., le tout naviguant entre l’expérimental, la pop (commercial), le ludique, etc., etc., etc., aidé par une émulsion portée par des revues comme The Face ou New Musical Express et des fanzines, des maisons de disque, des journalistes de TV, des lieux (boîtes de nuit, pubs, salles de concert…) et une philosophie britannique teintée d’un humour tout particulier mélangé à de la fantaisie et un certain goût pour l’élégance, le style et le rythme… qui par la suite ont disparu dans la mondialisation broyeuse invétérée de particularités. Au début des années 1980, on retrouve toutes ces modes dans les rues de Londres, et surtout dans certains quartiers (Kings Road, centre de Londres, Camden Town…), un foisonnement coloré et d’une grande inventivité.

Ci-dessous : Pages d’un article, intitulé « La mode pirate débarque », de la revue Actuel (n°18) d’avril 1981.

incroyables et merveilleuses
Incroyables et Merveilleuses
Merveilleuses et merveilleux

Ci-dessous : Photographie d’Adam and the Ants en concert, groupe particulièrement actif de 1977 à 1982, ayant sorti un sixième album en 2013. La tenue du chanteur reprend des clichés de l’incroyable du Directoire et du Premier Empire. La musique de ce groupe n'étant pas très originale, celui-ci n'a pas eu beaucoup de succès au niveau mondial, alors que d'autres, dans la mouvance new romantic ou fun qui s'apparentent par certains traits au mouvement pirate, ont beaucoup plus marqués.

Merveilleuses et merveilleux

Ci-dessous : Adam and the Ants, biographie par Chris Welch (A Star book, 1981).

Merveilleuses et merveilleux
Merveilleuses et merveilleux

En 1984, le grand couturier, John Galliano (né en 1960), se fait connaître avec son défilé de fin d’études intitulé Les Incroyables, où il présente sa réactualisation d’habits de merveilleuses et d’incroyables.

Ci-dessous : Figurine d’un incroyable muscadin par Laurent ex Laurent (2018), dans un style post-punk français. Non seulement Laurent fabrique des figurines très rock'n'roll, mais il peut aussi en faire sur demande, par exemple de vous en rockeur, zazou, incroyable ou comme vous êtes, pour seulement 100 EUR.

Figurines de Laurent Manet

Ci-dessous : Images d’incroyables d'époque fin XVIIIe siècle.

Merveilleuses et merveilleux
Merveilleuses et merveilleux
Merveilleuses et merveilleux

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La courtille

Merveilleuses et merveilleux

À Paris, près d’où j’habite en ce moment, on peut voir rue Saint-Maur, à l’angle avec la rue de l’Orillon, un panneau (visible ici) indiquant : « Au XIIIe siècle, la Courtille formait un hameau à l’Est de la rue du Faubourg du Temple, et ce terme désignait des jardins ou des vergers. Au fil des siècles, elle se transforma en lieu de promenade très appréciée des Parisiens qui venaient se divertir dans les guinguettes, et y boire le petit vin vert appelé guinguet. La plus célèbre, le cabaret du Tambour Royal, fut fondée par Jean Ramponaux : “Venez chez moi, Badauds, venez à la Courtille. C’est au Tambour Royal, tout y rit, tout y brille”.

Situé à l’angle de la rue de l’Orillon et de la rue Saint-Maur, il devint dès 1758 l’établissement à la mode. Gens du peuple, artistes et aristocrates s’y pressaient pour déguster un vin excellent “à trois sous six deniers la pinte”. »

Au XVIIIe siècle, on était encore ici à la campagne. Aujourd'hui, la campagne n'est plus même aux portes de Paris, et il faut dépasser plusieurs villes avant de la trouver. Voici quelques liens vers des images montrant ce quartier au XVIIIe siècle et au début du XIXe :
- Rue des filles du calvaire,
- Barrière de Belleville et ici,
- Montagnes russes à Belleville,

- Belleville (dessin).

Ci-dessus : Photographie prise en avril 2020 de l’angle de la rue de l’Orillon et de la rue Saint-Maur, où se trouvait sans doute le cabaret du Tambour Royal, et où le panneau cité ci-dessus est présent.

Photographie ci-dessous : gravure du XVIIIe siècle représentant l’intérieur de la taverne de Jean Ramponaux. J’ai déjà écrit un article où je la présente. Il est visible ici.

Merveilleuses et merveilleux
Merveilleuses et merveilleux

Le quartier de la courtille était très réputé chez les jeunes du temps des guinguettes, et jusqu’au XIXe siècle inclus où notamment, pendant le carnaval, se formait le cortège qui descendait jusqu’à l’opéra dans le centre-ville. Vers la fin de cet article, il y a une peinture représentant une descente de la courtille.

Ci-dessous : Illustration du chapitre consacré au Chicard du tome 2 de Les Français peints par eux-mêmes (1841).

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Drôles de pistolets XIII par Jan Van Beers

Merveilleuses et merveilleux

Jan Van Beers (1852 – 1927) est un artiste belge. Il s’installe à Paris à partir de 1878 où il y peint la vie parisienne, notamment certains de ses gommeux et gommeuses copurchics de la fin de siècle. Sa touche, son « chic » comme on dit dans l’univers artistique de la première moitié du XIXe siècle, est un mélange caractéristique de guindé et de frivole, à l’image de la mode de la fin de globe (fin du XIXe), où l’on porte corset, faux-col haut, plastron, où l'on s'habille souvent de sombre… tout cela dans une ambiance de fêtes continuelles.

Ci-dessus : « Pschutteuse ». Photographie d’une peinture de Jan Van Beers.

Ci-dessous : « Le Soireux ». Estampe signée « Jan Van Beers » et « Florian » (peut-être Ernest Florian : 1863 - 1914).

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Ci-dessous : « Le royal gommeux » de Jan Van Beers.

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Ci-dessous : Gommeuse marchande de fleurs par Jan Van Beers.

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Ci-dessous : « Le chic parisien » par Florian d’après Jan Van Beers, provenant de la Revue Illustrée.

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Ci-dessous : « Le superchic » par Florian d’après Jan Van Beers, provenant de la Revue Illustrée : « Portraits Contemporains ».

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Ci-dessous : « Carnaval » par Jan Van Beers provenant de la Revue Illustrée.

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Drôles de pistolets XII : La gaieté et l’humour

Merveilleuses et merveilleux

Pour illustrer cet article, rien de tel que des caricatures de drôles de pistolets ‘pas drôles’.

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« Quand ils ne sont pas bien drôles, ils sont bien tristes. » Dessin de Gavarni, provenant de Les Gens de Paris « En Carnaval » et « Gravé par Brugnot ».

Nombreuses sont les richesses qui ne nécessitent pas d’avoir des biens matériels et de l’argent. C’est le cas notamment de l’humour… dont on ne devrait jamais se passer ! Celui dont je parle ici est bien sûr bienfaisant, ne causant aucun dommage… mais au contraire apportant un sourire, voire de la franche rigolade. Quand il se moque, c'est avec amour.

L’humour est comme une lumière allumée dans la nuit. Lorsqu’il fait sombre et que l’on cherche à y voir, pourquoi voudrait-on s’enfoncer encore davantage dans la nuit ? Éclairons ! Même une petite étincelle, un ver luisant, une étoile ou un clair de lune apporte du réconfort… Ne boudons pas notre plaisir… pratiquons sérieusement la gaieté !

Il existe une très grande diversité de rires, certains exprimant la folie, d’autres la méchanceté… mais je me répète : il n’est pas question de cela ici, car ce ne sont pas des manifestations de richesses. Je parle de la ‘vraie’ joie, qui elle-même possède de multiples nuances, des plus diffuses aux plus franches, des plus fines aux plus directes…

Il s'agit d'un élément important de la mode. C’est pour cette raison que, pour ce qui concerne le XIXe siècle, c’est souvent dans les caricatures que je trouve les témoignages les plus intéressants des tendances du jour. Les ouvrages se destinant exclusivement à la mode manquent souvent d’humour, alors que leurs sujets expriment habituellement une certaine joie de vivre, de la fantaisie voire de la dérision… volontaires ou involontaires… mais toujours présentes… Dernièrement, dans la série ‘Drôles de pistolets’, j’ai présenté dans ce blog plusieurs artistes du XIXe siècle ayant fait des ‘peintures’ humoristiques des modes de leur temps, avec une verve qui du reste ne se limite pas qu’à ce domaine, mais un peu à tous !

Merveilleuses et merveilleux

Illustration du Petit journal pour rire, n°387, de 1882 : « CAFÉS-CONCERTS, – par A. Grévin. » « TÊTE D’EXPRESSION. Celui-là, avant n’était pas drôle… Depuis qu’il s’est mis à chanter Petits oiseaux, Petite fleur, il est excessivement drôle. »

L’humour est un élément fondamental de la société française du XIXe siècle… qui semble avoir disparu de celle d’aujourd’hui… Ne cherchons pas pourquoi. L’humour n’est pas non plus une méchante bataille rangée ! Laissons les explications aux ignorants et les conflits aux belliqueux, et montrons quelques drôles de pistolets de carnaval !

Le carnaval est un moment favorable à l’humour gras… comme le mardi du même nom… et au ‘chamboule tout’.

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« Spécimen du vrai Chicard ». Estampe provenant de Physiologie du Chicard par Charles Marchal, « Dessins Par Gavarni, Daumier, Travier et Monier », Paris, 1842.

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« POCHADES DE CARNAVAL. Vois-tu, si ton maître est bien content de toi et si tu as le prix de sagesse cette année ! je te laisserai déguiser en paillasse !… l’année prochaine !!… » Estampe publiée par « La Mode 31 décembre 1841 ».

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Estampe de Le Carnaval de Paris par Guillaumot d’après un dessin de Gavarni.

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« V’là un gueux de petit pékin qui se divertit au bal comme un grain de plomb dans du champagne. » Estampe de Les Débardeurs, par Dujardin d’après un dessin de Gavarni.

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« – C’est un diplomate… – C’est un épicier… – Non ! c’est un mari d’une femme agréable. – Non ! Cabochet, mon ami, vous avez donc bu… que vous ne voyez pas que mosieu est un jeune homme, farceur comme tout, déguisé en un qui s’embête à mort. » Estampe de Le Carnaval de Paris par Lavieille d’après un dessin de Gavarni.

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« C’est d’main matin qu’mon tendre époux va beugler : Ah ! Mais… zut ! Ce soir j’suis Simonienne, enfoncé l’conjugal. » Estampe de Les Débardeurs, par Baba et Gélard et d’après un dessin de Gavarni.

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« LES "PETITS JOYEUX" » : « – Heureusement nous sommes là pour faire revivre la vieille gaieté française. » « Dessin de Gerbault », Henry Gerbault (1863 – 1930), provenant de la revue Le Rire du 2 juin 1900.

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Le bel Alcibiade

Merveilleuses et merveilleux

Les incroyables et les merveilleuses du Directoire sont l’arbre qui cache la forêt de la petite maîtrise. Ils sont parmi les derniers représentants du gandisme de l’Ancien Régime, mais leurs manières sont présentes auparavant sans discontinuité pendant des siècles, et même des millénaires. Les petits-maîtres du XVIIe siècle, les mignons du XVIe, les perruquets du Moyen Âge et des centaines d'autres gandins français déjà grasseyent, marchent sur la pointe des pieds en fauchant le persil, sont galants, s’habillent en ‘exagérant’, etc. Des exemples, on en trouve jusque dans l’Antiquité, et j’en donne de très nombreux dans mes livres Les Petits-maîtres du style de l’Antiquité au XIe siècle (2017) et Merveilleuses & Merveilleux (2019).

Pour la période antique, l’Athénien Alcibiade (450 – 404 av. J.-C.) est sans doute le plus célèbre. Adolescent et jeune homme, il est le type même du petit-maître. Il a un défaut de prononciation qui le fait bléser (cela semble chez lui consister à ne pas dire les R ou les remplacer par un L, comme s'en moque Aristophane dans une de ses pièces). Il est galant et a de multiples aventures féminines, dont certaines font du scandale, la dernière étant sans doute à l’origine de sa mort. Il aime s’amuser, la danse, la musique, les banquets, le vin, les plaisanteries… tellement que là aussi il cause plusieurs scandales durant sa jeunesse. Il est beau bien sûr. Il marche avec une nonchalance affectée, laissant traîner son long et magnifique manteau. Il est quelque peu impertinent. Il aime les exercices du corps, les chevaux et gagne avec éclat des concours hippiques. Il fréquente les cercles littéraires et philosophiques d’avant-garde : il est notamment un ami et disciple de Socrate, très à la mode dans la jeunesse athénienne de son époque. Etc. Ce n’est pas un kaloskagathos (voir mes livres), c’est-à-dire l’homme beau et bon par excellence, mais davantage un kallopistés… du moins dans sa jeunesse… dans ce que celui-ci peut, peut-être avoir de meilleur… Il montre aussi que généralement on ne devient pas petit-maître, mais qu’on l’est foncièrement dès sa naissance, ce qui rend ces personnages rebelles, insaisissables et souvent critiqués du commun, car ils sont revêches à toutes formes de petitesses. Ils déclenchent chez beaucoup le phénomène d'attraction/répulsion caractéristique. Du reste, toute sa vie Alcibiade est régulièrement successivement adulé puis détesté par le peuple de sa ville, Athènes, qui le condamne et le bannit à plusieurs occasions, et à chaque fois s’en repentit, car il est un homme d'État et un général très fin stratège qui aide et aurait pu le faire beaucoup mieux si on lui avait fait confiance.

Alcibiade est vraiment un être étonnant, dont il reste de nombreuses traces aujourd'hui, comme deux ouvrages de Platon lui étant consacrés : Alcibiade majeur et Alcibiade mineur. Il est aussi un protagoniste très important du fameux Banquet, toujours de Platon, qui l'évoque dans d'autres de ses livres. Des historiens grecs écrivent sur sa vie, et il inspire de nombreux écrivains durant les siècles qui suivent, jusqu'à aujourd'hui. En France, au XVIIe siècle, il est le personnage principal de plusieurs tragédies, et aux XVIIIe et XIXe en particulier de comédies, sans compter d'autres écrits.

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Photographies ci-dessus : Lettre d’Alcibiade à Glicere, bouquetière d’Athènes… (1764), par le marquis de Pezay (1741 – 1777). Gravure d’après Eisen. Cet écrit, du XVIIIe siècle, reprend le thème de l’amour entre un petit-maître et une jolie grisette, ici entre les Grecs Alcibiade et Glycère, bouquetière de son état. A.-F.-J. Masson, marquis de Pezay, est sans doute lui-même un petit-maître durant sa jeunesse. Plusieurs de ses écrits font partie de la bibliothèque du merveilleux de son époque, comme La Nouvelle Zélis au Bain et quelques autres. Il fréquente Dorat, Rousseau, Voltaire, Diderot, etc.

Ci-dessous, page de titre de : Platon, Alcibiade premier, ou De la nature humaine. « Texte grec. Avec sommaire et note, Par Fl. Lécluse », Paris, Imprimerie et librairie classiques de Jules Delalain et Cie, 1840.

Merveilleuses et merveilleux

Ci-dessous : Gravure du XVIIe siècle représentant un « Homme de Qualité en manteau d’Écarlate. » Ce dernier mot est ici écrit « écarlatte ». Il s’agit d’une couleur d’un rouge vif. Il pourrait s’agir d’un Alcibiade du XVIIe siècle. Il porte, comme lui, un manteau d’écarlate. Pour le reste, il est à la mode du siècle de Racine et de Molière. Un tricorne avec un petit panache ne cache pas ses beaux cheveux blonds et bouclés. Son habit est constellé de galons, glands, boutons et autres ornements que ce siècle apprécie tout particulièrement. Il a de la dentelle aux poignets. Un grand manchon est retenu à sa ceinture par son écharpe, celle qui tient son épée. Il est en train de priser du tabac.

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Drôles de pistolets XI d’après Draner

Merveilleuses et merveilleux

Draner (de son vrai nom Jules Joseph Georges Renard : 1833 – 1926) est un artiste caricaturiste belge, comme par exemple Mars (1849 – 1912), un compatriote de la même époque. Il travaille à Paris pour des revues comme Le Charivari, le Journal pour rire, Le Monde comique, La Caricature, etc. Il est surtout connu pour ses images humoristiques de pioupious et autres militaires, notamment dans des séries comme Souvenirs du siège de Paris, Les soldats de la République, Types militaires, et des livres comme Faits et gestes du sergent Roupoil (écrit par Charles Leroy), Le 145e régiment (par Maxime Aubray), La Nouvelle vie militaire (par Adrien Huart), etc. Parmi ces militaires, parfois très élégants, on trouve quelques petits-crevés, gommeux, merveilleux et merveilleuses pschuteux de la seconde partie du XIXe siècle, ‘fin de siècle’, et du début du XXe.

Photographie ci-dessus : « NOS “JEUNE FRANCE” DU JOUR, – par DRANER » « Gom-Gom du Bois-Craqué, Boudiné de la Sirotière et le petit Saint-Poisseux, l’élite du pschutt, l’idéal du v’lan, tout ce qu’il y a de plus “dans le train”, l’avenir enfin !!! » Dans cette première page de couverture de la revue La Caricature de 1883, il est fait référence à plusieurs petits-maîtres de l’époque, dont il est question dans mon livre Les Petits-maîtres de la mode : jeune France, gommeux, boudinés, poisseux, pschutts, v’lans…

Photographie ci-dessous : Estampe provenant de la revue Le Charivari et de la série Actualités : « Les parapluies à têtes d’oie sont du plus suprême vlan. Histoire pour les pschutteux d’être toujours en tête-à-tête. » La comparaison avec l’oie n’est pas gentille, car on appelle ainsi une personne sotte. Pourtant, si cet animal est figuré par certains merveilleux pschutteux sur le pommeau de leur parapluie ou de leur canne, cela n’est pas anodin : autrefois, en particulier durant l’Ancien Régime, on appelle « petite oie » l’ensemble des ajustements nécessaires pour rendre un habillement complet, comme le chapeau, les gants, les rubans, la canne, etc. Finalement, et comme très souvent, c’est celui qui se moque qui mériterait d’être moqué.

Merveilleuses et merveilleux

Ci-dessous : « ÉTAT MAJOR DE LA GARDE NATIONALE. Ex-Turfiste, ex-Petit-Crevé, ex. présentement un bon et courageux citoyen. » Cette estampe, elle aussi signée Draner, est de la série Souvenirs du siège de Paris. Elle présente un petit-crevé pendant la guerre de 1870. Avant cette période, ceux-ci sont considérés par la majorité comme des tire-au-flanc, mais la guerre révèle que certains se comportent aussi héroïquement que d'autres. Dans son livre intitulé La Comédie de notre temps (1874), Bertall (1820 - 1882) écrit que « La guerre ayant démontré que les petits crevés se battaient aussi bien et savaient mourir sur le champ de bataille aussi bravement que les autres, le mot qui semblait contenir une accusation de faiblesse ou d’impuissance est tombé en désuétude. »

Merveilleuses et merveilleux

Ci-dessous : Image pleine page de la revue L’Éclipse, du 10 septembre 1876, intitulée « la métamorphose du réserviste » : « Fantaisie civile et militaire ». À gauche nous avons une tenue de gommeux.

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Drôles de pistolets X d’après Marcelin

Les Petits-maîtres de la Mode
Les Petits-maîtres de la Mode

Marcelin est le pseudonyme d’Émile-Marcelin-Isidore Planat (1825 – 1887). Il s’agit d’un caricaturiste ayant collaboré à plusieurs publications périodiques avant de fonder, en 1862, La Vie parisienne, revue qui lui a survécu jusqu’en 1970. Elle a pour sous-titre : « Mœurs élégantes, Choses du jour, Fantaisies, Voyages, Théâtres, Musique, Modes ».

Les Petits-maîtres de la Mode
Merveilleux

Ci-dessus : illustrations de Marcelin provenant de numéros de La Vie parisienne de 1868.

Ci-dessous : double page d’un La Vie parisienne de 1868 : « Le manuel du conducteur de cotillon ». Au XIXe siècle le cotillon est un quadrille (successeur de la contredanse du XVIIIe, elle aussi appelée « cotillon ») qui mélange danse et jeu, conduit par un meneur de danse (souvent un couple) annonçant les figures. Il s’agit parfois d’une danse qui termine un bal où chacun se tient par la main pour former ensemble une carole ouverte.

Les Petits-maîtres de la Mode

Ci-dessous : illustrations de Marcelin provenant de L’Illustration, époque Second Empire.

Les Petits-maîtres de la Mode
Les Petits-maîtres de la Mode

Ci-dessous : illustrations de Marcelin provenant du Petit journal pour rire, d'époque aussi Second Empire, le temps des robes crinolines.

Merveilleuses et merveilleux
Les Petits-maîtres de la Mode
Les Petits-maîtres de la Mode

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Croissance ou décroissance ?

Merveilleuses et merveilleux

Grande image d’Épinal représentant Saint-Martin, alors chevalier romain, partageant son manteau avec un mendiant. Il s’agit de l’épisode le plus marquant et le plus représenté de la vie de ce personnage qui est resté pendant des siècles le saint-patron de la France, comme quoi le vêtement occupe une vraie importance dans ce pays.

Lorsque je travaillais, je me suis acheté plusieurs costumes. Quelques années plus tard, non seulement ceux-ci n’étaient plus à la mode, mais surtout je me suis rendu compte qu’ils étaient faits de matières synthétiques mélangées à de la laine. Je pensais qu’ils étaient bien, mais aujourd’hui je ne sais pas quoi en faire. Et c’est le cas pour la plupart des vêtements que je possède. Dorénavant, je préfère être mal habillé que de ces nippes polluantes. On étouffe littéralement sous une production de mauvaise qualité… et pas seulement d’habits.

Du coup, cela fait des années que je n’ai pas acheté de vêtements, ou très peu. D’abord, je le répète, je trouve que le prêt-à-porter vend généralement de la mauvaise qualité, même si en apparence cela ne le semble pas, et des habits de série, mal ajustés à la personnalité… Ils sont souvent constitués de plastique et autres matières synthétiques qui font de ces tissus modernes des polluants. Enfin c’est de la daube ! Dernièrement, j’ai tout de même enfreint la règle précédemment évoquée : Ma robe-de-chambre tombant en lambeaux, j’en ai achetée une autre. Pendant quelques semaines, j’avais l’intérieur d’une narine qui me grattait fortement, ce qui était désagréable. Il m’a fallu du temps pour comprendre d’où venait cette allergie : de ma nouvelle robe de chambre, soi-disant 100 % coton. Dès que j’ai arrêté de la mettre (je l’ai jetée) mon mal s’est évaporé ! J’ai repris ma vieille robe de chambre pour finir l’hiver…

Essayons de moins consommer, et d’acheter des habits moins nombreux mais de qualité. Et si nous ne le pouvons pas, et bien promenons-nous tous nus !… Non, bien sûr… les habits ont aussi un rôle protecteur ; et si nous voulons qu’ils gardent cette fonction, ne choisissons pas ceux qui nuisent à notre environnement autant qu’à nous-mêmes.

Merveilleuses et merveilleux
Merveilleuses et merveilleux

Le titre de cet article est une fausse question. Aujourd’hui, quand on parle de croissance, il s’agit de croissance de la pollution, des multinationales, de la population, des articles de mauvaise qualité, de la bêtise, de l’horreur… enfin de ce qui nous fait, à nous et l'environnement, du mal en général. Cette croissance-là est de la folie.

La définition du terme de « consommation » liée au commerce, ne se trouve pas, semble-t-il, dans Le Dictionnaire de L’Académie française avant la cinquième édition de 1798. Il est sûr qu’il faut arrêter de se laisser berner à consommer toujours davantage, de plus des marchandises de mauvaise qualité. De nos jours, l’acheteur doit faire attention à tout : à bien regarder les étiquettes, choisir méticuleusement où il se fournit, etc. Cela n’est pas non plus normal. Un proverbe chinois, que j’ai lu il y a de cela plusieurs années mais qui m’a marqué, dit que si le producteur doit utiliser ses deux yeux, le vendeur au moins un œil, l’acquéreur lui doit pouvoir acheter les yeux fermés. À notre époque où tout est sens dessus dessous, où l’on marche sur la tête, c’est le contraire, chacun doit faire extrêmement attention. Là aussi on est très loin de l’esprit français, et du commerce qui a fait pendant longtemps la réputation de ce pays, où producteurs et vendeurs étaient des gens de confiance privilégiant toujours la qualité. Les commerçants ayant pignon sur rue étaient de ce genre-là. Aujourd’hui, ce sont surtout des grandes enseignes internationales qui déversent à la vente des monceaux de détritus.

Merveilleuses et merveilleux

« Vêtir les Nus. » Dessin et gravure d’Abraham Bosse (vers 1602 — 1676). Sixième numéro d’une suite de sept estampes sur Les Œuvres de Miséricorde éditées par « leBlond ». Celle-ci porte sous son titre, le texte suivant : « Par un effet assez connu, / L’Homme, vrai sujet de misère ; / Sortant du ventre de sa Mère, / Entre dans le Monde tout nu. // Pour s’exempter de la froidure, / Il se couvre contre ses maux / De la laine des Animaux, / Et s’échauffe avec leur fourrure. // Mais comme par la Pauvreté / Toutes choses lui sont contraire ; / Il peut manquer des nécessaires, / Et se voir dans la nudité. //Alors par un soin véritable, / Il faut que charitablement, / Tu l’assistes de vêtement, / Prenant pitié de ton semblable. »

Dernièrement, je me demandais pourquoi je ne remarque jamais de gens sages ? Sans doute est-ce parce que le sage a une conscience aiguë de sa nature humaine, de sa fragilité, et qu'il ne s'étale pas sans pudeur comme le font les autres. De plus, il est avant tout, peut-être, un chercheur de sagesse, un amoureux de celle-ci comme l'indique l'étymologie du mot « philosophe » : φιλόσοφος, philó « celui qui aime » sophos « la sagesse ». Prenons l'exemple de peut-être le plus connu d'entre eux, Socrate (Ve siècle av. J.-C.) : celui-ci n'a jamais rien écrit, et n'a même jamais expliqué aux autres ce qu'était la sagesse ; il la cherchait, posait des questions, avançait en essayant de l'atteindre et en affinant la perception de ses interlocuteurs.

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Drôles de pistolets IX d’après Gavarni

Merveilleuses et merveilleux

« On rit avec vous et tu te fâches… en voilà un drôle de pistolet ! » Gravure provenant de Œuvres choisies de Gavarni « Revues, corrigées et nouvellement classées par l’Auteur –  Études de mœurs contemporaines – » « Les Débardeurs ».

Merveilleuses et merveilleux

« Le Vicomte Aimé de Trois Étoiles et Dame Eloa de Tremblement, vont tout à l’heure ouvrir un cours public de Cachuchas comparés ». Estampe de la série Les débardeurs de Gavarni. La cachucha est une danse espagnole qui semble être mise à la mode à partir de vers 1836.

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« Cabinet de Mr le Commissaire » « – Vous ignoriez que cette danse fut défendue par l’autorité ?.. ce n’est pas probable…… dites vos noms et qualités. – BENJAMIN LÉGER, employé aux Menus-Plaisirs. FÉLICITÉ BEAUPERTUIS, Rentière. » Estampe de la série Le Musée pour rire.

Plusieurs ouvrages ont été publiés sur les « maîtres de la caricature » française du XIXe siècle. Ma démarche est très différente, car je pars d’un thème, les merveilleuses et les merveilleux, et cherche quels sont les caricaturistes s’étant distingués dans la représentation de ceux-ci.

La mode est un sujet apprécié de caricaturistes, surtout que ses extravagances et les petits-maîtres qui les portent se prêtent facilement à la satire. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, ces caricatures sont souvent plus anonymes et moins nombreuses. La Révolution, les modes incroyables et merveilleuses du Directoire, le goût du public pour les estampes dépeignant les modes du jour et les nouvelles techniques de publications à grande échelle mettent en vogue ces images que les artistes n’hésitent plus à signer. Carle Vernet (1758 – 1836), Horace Vernet (1789 – 1863) son fils, Philibert-Louis Debucourt (1755 – 1832), Louis Boilly ( 1761 – 1845) notamment se font une spécialité (parmi d’autres) de portraits de merveilleuses et incroyables de leur époque, dessinés avec sensibilité, vérité et humour, d’une manière à la fois humaine et détachée, ironique et affectueuse, voire charmée… modes qu’ils connaissent d’autant mieux que certains travaillent aussi pour des revues de mode, comme le Journal des Dames et des Modes. En avançant, le XIXe siècle multiplie ce genre de scènes… de genre… à travers toutes sortes d’éditions de livres et de nouvelles revues humoristiques largement illustrées de caricatures de la vie moderne d’alors.

Dans mes articles sur les « Drôles de pistolets », je présente plusieurs de ces artistes du XIXe siècle, ceux ci-avant cités, mais aussi : Georges-Jacques Gatine (1773 – 1824), Louis-Marie Lanté (1789 – 1871), Charles Vernier (1813 – 1892), Cham (1818 – 1879), Félix Nadar (1820 – 1910), Bertall (1820 – 1882), Alfred Grévin (1827 – 1892) et Lucien Métivet (1863 – 1932). Ici, c’est au tour de Gavarni, pseudonyme de Sulpice-Guillaume Chevalier (1804 – 1866). Comme d’autres, il commence par publier des estampes dans des revues de mode, comme les prestigieux Journal des dames et des modes et La Mode, tout en prêtant ses talents à des journaux et revues plus ou moins satiriques, comme L’Artiste, L’Illustration, le Charivari… ainsi qu’à des illustrations de livres.

Ses représentations les plus connues sont peut-être celles du carnaval parisien, en particulier de certains de ses masques, comme le débardeur ou le chicard. En 1841 – 1843, il publie une série d’estampes sur Le Carnaval à Paris. Ces années-là sont très prolifiques. Il illustre plusieurs physiologies, comme Physiologie de la grisette (1841) et Physiologie du tailleur (1841 voir cet article) par Louis Huart (1813 – 1865), Physiologie de la lorette (1841) et Physiologie du débardeur (1842) par M. Maurice Alhoy (1802 – 1856), certaines avec d’autres artistes comme Physiologie des demoiselles de magasin (1842) « par un journaliste » et Physiologie du chicard (1842) par Charles Marchal (1822 – 1870), les deux avec aussi des illustrations de Daumier, Traviès et Monnier, et Physiologie du lion (1842) par Félix Deriège (1810 – 1872) avec la participation de Daumier.

Voilà pour quelques exemples de productions de cet artiste qui a marqué de sa touche cette grande époque de la caricature française... en particulier parisienne... en un temps où la capitale française était aussi la capitale artistique mondiale, où se créaient des courants de toutes sortes... et où chacun pouvait se décider le 'héros' de son temps... un 'héros' à la Balzac, à la van Gogh, à la lorette, au chicard, à la Dumas, à la Childebert, ahlalalala !

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« En voulez-vous de la crevette ?… pas cher. » Gravure provenant de Œuvres choisies de GavarniLes Débardeurs. Au XIXe siècle, on appelle « crevette » une petite-maîtresse : le pendant féminin du petit crevé ou crevé. Voir mes livres sur ce sujet, ainsi que sur le débardeur, le chicard, la grisette, la lorette, etc. Ici les crevettes ont vraiment l'air crevé !

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